Porte d’entrée avec son paillasson et son auvent éclairé par une lanterne à allumage à halogène. Porte avec un oeil de boeuf laissant entrevoir des ombres et des lumières indistinctes, et sourdre, de temps à autre, des bruits incertains. Une serrure à péne en laiton sur un bâti en bois épais qu’un vernis discret protège des outrages du temps. Je me tiens là, devant, indécis. Toquer à l’huis ou sonner après s’être assuré de la présence ou pas des habitants des lieux…M’annoncer au téléphone pour être certain que l’on m’attende et comme pour m’excuser du dérangement. Entrer franchement ou timidement, d’un pas assuré ou mesuré, en cognant à la porte, sans s’annoncer ou lancer un tonitruant « y a quelqu’un? » ou un piteux « c’est moi ».
Un couloir et trois portes identiques, impersonnelles, sans chaleur. Bruits diffus derrière l’une d’elles…oui mais laquelle? A moins que ce ne soit les deux voire les trois. Un bruit de téléphone vite réprimé, aurait pu m’en dire davantage. Je suis là, assis, seul, sur un banc de moleskine, depuis un long moment. Ces portes communiquent-elles par un couloir que l’on ne voit pas? Bien possible dans cet édifice de style haussmanien, abritant un service de l’Etat désargenté, sans panache et sans prestige. Mon rendez-vous était prévu à dix heures et il est presque onze heures. Et pourtant j’étais en avance. La réceptionniste à l’entrée a annoncé ma venue, puis on m’a prié d’attendre là, dans le couloir. Personne ne m’a encore invité à le suivre. Nul n’entre. Je me lève pour me dégourdir les jambes dans ce couloir morne, au carrelage terne. Je marche lentement à l’affût du moindre bruit. Mais rien. Je laisse divaguer mon esprit, pensant et ressassant mille et une choses sans importance, trompant un ennui rampant. Je me trouve devant l’une de ces trois portes. Quelle porte va t-on ouvrir pour me recevoir. Celle de droite? Celle de gauche? Pourquoi pas celle de milieu? je vais en prendre une au hasard et tant pis si je ne dérange pas la bonne personne. Oui mais ça pourrait être une personne importante, un cadre supérieur et pourquoi pas un directeur qui pourrait mal prendre la requête que je suis venu présenter au décideur de ces lieux austères.
La porte est en bas d’un escalier balisé à l’éclairage de secours. Elle est là, métallique, traversée de sa barre anti-panique, que j’actionne d’une pesée de main. Elle s’ouvre, sur une ruelle, mal éclairée, aux murs barbouillés de graffitis s’entre-mêlant comme autant de palimpsestes de l’histoire d’une ville, d’un quartier, d’une rue, occupée par des habitants que l’on ne voit pas, mais dont on devine la présence inquiétante, sans jamais la nommer. On l’évoque par allusions, en petites touches suggestives, en descriptions négatives. Je marche au milieu de la ruelle, évitant des encombrants et autres déchets, dont on se sait que faire, et que l’on a abandonné derrière un parking, dans une ruelle misérable. Une toux grasse, un raclement de gorge, un crachat…le bruit d’une bouteille qui roule à ma gauche. Je fais un pas à droite, comme pour me protéger de miasmes qui pourraient m’atteindre. A l’extrémité de la ruelle, je distingue à peine dans l’obscurité, l’ombre d’une camionnette en stationnement… Le bruit d’une portière latérale que l’on ouvre, m’alerte. J’accélère le pas.