Courant le plus vite possible dans les escaliers de velours pour aller vérifier au deuxième étage du grand magasin, les boites insolentes et prétentieuses, zébrées de strass, leur empilement irrésistible, l’objet de ma convoitise bien en vue. Puis disparition et oubli. Les lampadaires chauffent le boulevard. Mes yeux presque à hauteur de vitre m’offrent la perspective du ciel. Succession d’ombres chinoises sur moire de fin du jour. Les couronnes de feuilles des palmiers à quinze mètres ou plus apparaissent en bouquet élancé sur des tiges. Sous les projecteurs jaune sodium, les détails de la ville dans l’ombre disparaissent, laissant la route solitaire se dérouler dans un décor inconnu. Quelques feux luisants détournent mon regard. Tous mes repères sont escamotés. Puis disparition et oubli. Les visages qui m’entourent trahissent par leurs sourires une certaine excitation. Je reste impassible, me réservant l’euphorie du moment pour moi seul. La voiture passe devant le club de tennis. Au bout de la rue virage à droite et à gauche, puis encore à droite, une portion de boulevard, on approche. La voiture ralentit. Le moment n’est jamais sûr. Le pianiste baisse la fenêtre conducteur. Il parlemente. Le gardien fait signe d’avancer puis retourne à sa guérite pour s’arc-bouter sur le mécanisme à contrepoids de la barrière qui nous laisse entrer. Le silence est ample, humide et chaud. Devant nous les allées s’éclairent au sol ; impossible de deviner derrière le voile de la nuit les hectares du complexe multisport, rectangles de verdure et de terre battue, partout des eucalyptus. Puis disparition et oubli. Pas une place de libre dans la petite salle du Caf’Conc’. Le tour de chant et les accords du piano exécutés, il fait son entrée en costume ajusté, haut de forme, paillettes, gants blancs, anneaux chinois au creux du coude. Je déguste le moment qui m’enchante comme une friandise longtemps refusée, mes yeux grands ouverts, une colombe apparaît, vétilleux du moindre fait et geste, jet de paillettes, ignorant tout des passes, une cascade de foulards sortent du cylindre, ne voyant pas le tirage poche arrière, les anneaux dégagés, sous mon nez le pouce dans la boucle de catgut, des cartes géantes en évantail. Puis disparition et oubli. Je pousse la porte du cabanon, me saisit l’odeur des vacances. La moquette au sol est usée, mais le charme des années soixante autour est intact. Assis sur le lit, j’attends patiemment. Je suis surpris de le voir entrer sans sa cape et son chapeau, mais en t-shirt, short et tongs. Il parle à voix basse sans geste grandiloquent. Il me fait jurer de garder le secret. Sur le petit guéridon en bois, il dispose ses accessoires de prestidigitation ; un crayon, un sucre, un bol d’eau. Il s’exécute, puis une seconde fois doucement, éblouissement. Mes mains dans les siennes, gestes et instructions, la pression imprimée dans la paume de ma main, le secret n’est rien. Puis disparition.