autobiographies #08 | intérieurs cuisine

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c’était au bord de la route, un champ couvert d’herbes, un pré ; des cèdres bleus couchés en désordre près d’un fossé au loin ; quand il n’y avait pas encore de constructions, la campagne quoi ; fondations en 1950 et pose du toit pour qu’il existe un intérieur ; surtout la cuisine ; manger se chauffer tresser l’osier en hiver ; odeur du plat qui mijote sur la cuisinière à charbon ; car la faim ; envie de pain et de choses sucrées ; des chaises en paille ou simplement en bois toutes simples ; écouter la radio, alors comme une chaleur en plus du feu ; briques chaudes toujours à disposition ; souvenirs surtout de saisons froides ; forcément table placée au centre de la pièce, sûrement récupérée avant qu’on en achète une en formica assortie aux placards ; lieu où le chemin a conduit à travers le jardin, et puis l’escalier jusqu’à la porte poussée des deux mains ; la voix grave de l’homme de la maison ; l’effervescence du matin ; des épluchures de papier journal par terre – ça provient des brodequins de l’homme qui s’en sert pour tenir chaud les pieds ; tartines de beurre avec du chocolat en copeaux dessus, goûter de roi au retour de l’école ; dans la cuisine il n’y a plus d’ailleurs ; verre de vin à remplir sur la table près de la bouteille, une piquette fabriquée dans le pays ; café à moudre, le crissement du moulin à tourner coincé entre les genoux, cette odeur aimée ; carreaux au sol surtout pas salissants ; un journal qui traîne et des chaussons et un torchon rayé ; fruits trop mûrs dans un panier et le seuil usé qui relie la pièce à l’escalier ; la rage de vivre, de rassembler des forces pour grandir

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tout doit se défaire pour se refaire ; habitants d’avant retirés sur la pointe des pieds avant que les héritiers se débarrassent des choses et vendent la maison au plus offrant ; rétablir l’espace du vivre ; sol en pierre naturelle, un travertin crème veiné en grandes dalles imbriquées ; tout reprendre à zéro, casser évacuer reconstruire ; évier dans les tons de noir ; mur d’un mètre d’épaisseur ouvert pour que la vue se porte plus loin par les fenêtres ; souvent il fait froid comme une vague qui se retire ; autre fenêtre qui donne sur la rue avec tablette où des fruits sont disposés dans un plat long africain avec quelques galets de rivière aux corps ronds ; sept ans en arrière un chantier indescriptible ; étagères décoratives dans la montée de l’escalier avec des têtes en pierre très anciennes ; montant de cheminée refait en petits blocs d’une pierre sombre exploitée au Népal (bien trop loin, le prix que ça coûte) ; niches pour la vaisselle en poterie, agréable au regard ; belle lumière traversante d’une porte à l’autre  ; le bruit de la rivière circulant comme la lumière, même quand les portes sont fermées ; on peut discuter des événements du moment, des drames passés, des choses qu’on a racontées et qui se sont transmises ; de temps en temps un passereau qui heurte la vitre, les arbres sont si près, ils croient qu’ils peuvent entrer eux aussi ; oignons frits dans la poêle avec des tomates du jardin ; fauteuil en cuir à la place idéale pour envisager la pièce dans son ensemble ; tableau qui s’appelle Alger la noire et dessin des personnages d’une famille en noir et blanc, les deux du même artiste ; meuble de coin avec des motifs japonais en céramique et des miroirs ; paillasson en coco adoré de la chatte grise ; pas de photos, pas de personnages sinon dans les peintures ; le chantier a avancé vite, la vie revient

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du jaune aux murs ; des paniers tressés safran avec des oignons et des échalotes ; volets en bois peints en rouge sombre pour protéger la cuisine ouverte aux vents ; une étagère à hauteur de poitrine avec des objets minuscules et des boîtes de sardines anciennes ; il fait bon s’assoir là, boire un sirop de grenadine ou un thé dans une tasse chinoise ; tasses et théière bien rangées dans un petit placard de peu de profondeur à gauche ; chats qui vont et viennent, entrent et sortent, ils attendent qu’on leur ouvre la porte ; tenir la tasse pendant que le thé refroidit : on voit la rangée d’aulnes au bord de la rivière et on parle de tout et de rien ; fauteuils retapissés récemment avec du skaï, couleurs unies vert jaune rouge ; murs en bois qui respirent ; en hiver le petit poêle norvégien en céramique blanche, fonctionnement facile, on remet une buchette, on remue les braises et ça repart ; bruits dans la pièce à côté ; il y a quelqu’un qui dessine ; petit fatras du côté de l’évier vaisselle casseroles légumes à éplucher poubelle ouverte boîtes de médicaments boîtes à bonbons couteau sur une planche en bois ; elle est assise en face et lèche sa cuiller, gourmande, joyeuse 

codicille :
j'ai rapidement choisi d'écrire sur les cuisines, balayage des espaces en relevant la place et touchant du doigt les choses au hasard des souvenirs... le sentiment que je pourrais y revenir et faire gonfler encore et encore le texte... et beaucoup de joie à écrire tout ça et aussi une immense liberté...

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

4 commentaires à propos de “autobiographies #08 | intérieurs cuisine”

  1. Merci pour ces cuisines que l’on traverse en lecteur attentif aux ambiances et aux jolis phrases, surtout celle-ci « dans la cuisine il n’y a plus d’ailleurs » – je remarque surtout que de l’une à l’autre, certains détails entre la première cuisine et les deux autres (l’utilisation d’un temps de conjugaison, ou d’un pronom) nous laisse imaginer que le narrateur grandit et a du coup un pouvoir d’agir sur le lieu

  2. belle notation autour de la conjugaison… involontaire
    la mémoire fait son œuvre et le présent aussi, alors on laisse le mélange opérer !
    merci pour cette lecture qui me touche ce matin…

  3. 1er paragraphe : à la lecture une sensation d’enfermement, un monde tout petit, dont je souhaiterais m’extirper. 2e paragraphe : tenter de comprendre l’effet du premier. Une intériorité ambiguë traversée de froids et de chauds, une intériorité avec des brèches. Qu’est-ce qui rentre, la lumière du soleil sur des ruines ou plutôt un regard indiscret sur un intérieur cosy. Une ambiguïté quelque part, tout au fond, discrète. 3e paragraphe : les brèches colmatées, tout est tiède désormais et apaisé, le temps s’écoule. Les gestes décrits, sont des gestes répétés. Le 3e paragraphe est celui d’un temps devenu circulaire, de mouvements indistincts, quotidiens, l’attention est lâche, non parce qu’elle est distraite et empêtrée, mais parce qu’elle est au chaud et se laisse aller.

  4. Merci Marion T. pour cette visite détaillée de mes cuisines
    Merci pour ces notes qui s’articulent autour des sensations de lecteur qui sont bien souvent proches des intentions de l’auteur…
    Intéressante cette remarque sur l’évolution du temps et de sa matière, chaleur, abandon du corps dans un espace familier…