La chambre au volets clos des arrières grands-parents; l’odeur des pommes abritées au sommet de l’armoire; l’interrupteur de cuivre; les fleurs sans couleur du papier peint qui ne voyait jamais la lumière; les deux lits identiques; la table de chevet de Marie contre le mur; la table de chevet où Maurice gardait ses cartouches, calibre 12; dans l’angle, le fusil Robust Ideal 228 avec lequel, à la fin, Maurice voulut dormir quand il eut peur de la mort;
L’étroite chambre du grand-père typographe; l’étroite fenêtre d’où l’on pouvait dominer le jardin des voisins et entendre les bruits de la rue; l’étroite couchette revêtue de la verte couverture militaire revenue de la guerre; l’encombrante commode marbrée emplie de flacons, de pots, d’outils, de papiers, de cartons découpés; la casserole où il tient chaude une colle de poissons qui empeste; la bibliothèque sur tout un mur; la collection de tous les livres dont il assura l’impression; l’intégrale non massicotée de Sacha Guitry dont chaque livre dans son carton vert est l’une des commandes de mon sous-marin imaginaire; immersion; parés à plonger; les livres obéissent; on apprend aussi à lire entre les pages non coupées;
La chambre absente; une porte désirée; une cloison espérée; un espace à soi attendu en vain; on ne reste pas impunément privé de soi trop longtemps;
Une pièce rêvée; nue et encombrée d’une table offrant des pigments; des pinceaux; des crayons; des couteaux; des surfaces à supporter un gaspillage de matières; atelier où dormir est possible; chambre où le rêve est affaire de doigts tachés de couleurs; de colles odorantes; de forces aléatoires; de matériaux qui résistent; de couleurs qui s’effacent; de mots qui s’écrivent et se raturent;
Pièce d’un théâtre inattendu où elle arrive et s’installe à l’abri des regards sous la protection des arbres; le fauteuil qui l’épouse; un chien qui la suit partout et s’endort sagement quand elle écrit; une bibliothèque qui attend ses lectures, ses choix, ses envies, ses livres; une large et solide table pour ses écritures; un drap de lin sur un simple petit lit; un radiateur électrique au cas où l’hiver, les matins ou les soirs seraient froids; le moulage parfait d’une femme des Cyclades pour lui dire le Louvre,la Grèce, la mémoire; une paire de lunettes; son cordon tour de cou; un foulard de soie bleu; les trois volumes d’un vieux Littré avec le dictionnaire des mots rares; quelques feuilles mortes; les baies vitrées gardent les traces des pluies; des poussières de signes; des passages de pollens; marques sacrées, intouchables; preuves vivantes; chamane présence;
Très belles et touchantes évocations.
j’aime bien comment le côté lapidaire, sans graisse, de chaque texte, permet de tenir à distance toute fausse intimité autobiographique, leçon pour les prochaines propositions à venir
L’odeur des pommes au sommet de l’armoire. Lire entre les pages non coupées. Un espace à soi qui se dérobe. Cette chambre où le rêve est affaire de doigts tachés de couleurs. J’aime aussi les baies vitrées qui gardent trace des pluies… ces chambres ou pièces avec ou sans vue des paysages où rêver. Merci Ugo
Merci Louise, merci Nathalie , merci François. Vos regards bienveillants m’encouragent à respecter mieux les consignes de nos exercices. En tenir compte est rarement ma réaction spontanée. Défaut gaucher sans doute. Merci de vos lectures. Et surtout merci Louise et Nathalie de vos écritures qui sont de précieux guides.
La force dramatique du texte, vraiment dans le sens théâtral, on entend la voix généreuse et on perçoit à travers les reprises une suite d’évocations marquantes qui créent un imaginaire plein, très concret intense. La première partie pourrait être interprétée sur scène, c’est très beau. Et alerte, rythmé aussi
Tout dans vos textes appelle aux êtres qui vivent ou ont vécu dans les lieux évoqués et qui s’imposent d’autant plus fort qu’ils en sont absents. J’ai beaucoup aimé !
j’ai poussé les portes, arpenté tes pièces
j’ai vu le fusil de Maurice dans l’angle, senti la colle de poisson, effleuré tes « poussières de signes »
j’ai aimé le dégraissé, sans fioritures…