san giuseppe tel ce patriarche maronite qui est son père aux traits tirés au dos courbe un peu penché sur l’envers d’une partition musicale lui faisant face l’aidant- elle petite – à déchiffrer une composition à interpréter au violon à moins que cette dernière ne soit
cette pièce baroque spécialement composée pour un chœur de cinq à six voix (les passagers) simple mottetto ou petit mouvement adressé à la vierge endormie maintenant dans ce train-tableau du Caravage Ailleurs les chevaux des chemins ensablés affublés de clochettes auraient laissé leur place à la plus belle des robes pie recouverte de taches blanches et fauves au regard placide rappelant celui de son palefrenier en rien alerté par la terrible frappe divine percutant la poitrine du cavalier Saul de Tarse (en Turquie) alors tombé à terre dans une semi-obscurité proche d’un décor de théâtre cachant en réalité une route et sa nuit aussi accablante qu’exaltante magique que naturaliste chaude que glacée tout près des portes abattues molles de ses rêves à elle – aussi ceux du peintre lombard- et qui donnaient sur des pleins des vides sans conditions ni barrières tout pouvait aller et venir se convertir reconvertir à souhait même si à l’intérieur de ce rêve elle aurait bien voulu se cacher derrière de quelconques parois admettons invisibles parce que bien des fois poursuivie Au lieu de cela à l’image de Saul-Saint-Paul ouvrir grand les bras même au sol couchée voir regarder non de biais mais de face quelle que soit la lumière la porte jusque dans sa morphologie extrême et sonore de porte de heurt peur torse tarse semblable à cette forme d’os en rangée qui en échos dans la nuit resonnait parce que c’était Sednaya à coté de Damas dévastée
alors que son corps sur la banquette avait glissé pour former une diagonale sous le demi-cercle des sacs et valises objets variés au-dessus de sa tête donc une diagonale touchant de la tête puis des pieds disons la base de ce demi-cercle bombé jusqu’aux bords presque de cette sorte de protection coulissante servant de barrière entre le couloir éclairé à un moment d’une lumière bleutée veinée de minuscules points blancs semblant phosphorescents et le compartiment immergé dans une douce torpeur parfois musicale mouvante et par à-coups franchement tressaillant -cela pouvait dépendre de la santé des routes- qui la faisait s’affaisser toujours un peu plus au rythme des ouvertures fermetures légers grincements – l’on imaginait dehors des visages pincés- de cette porte pouvant déposer sur son visage selon les parcours un faible souffle d’air frais provenant sans doute de quelques cours d’eau ou de maquis avoisinants elle qui avait cherché les jours derniers sans y réussir vraiment à mieux respirer ne continuait-elle pas d’ailleurs à souvent passer une main déterminée sans toujours trop y penser du haut de son menton au début de son décolleté pour faciliter un mouvement fluide de déglution qui aurait rendu aisés comme un passage de salive réfractaire une amplitude majeure de ses poumons cela aussi depuis qu’elle écrivait ou dessinait des choses sur son carnet
parfois réveillée le cœur battant par un cauchemar la vision de scènes terribles récentes voire celle envisageable sous la mauvaise lune où le monde autour d’elle s’éveillait d’une attaque surprise masquée ? du wagon à l’intérieur duquel elle se trouvait elle sursautait mais bientôt se rendormait envahie par une bienheureuse lourdeur onirique une fatigue exacerbée stratifiée de tout son corps d’autres fois également elle se débattait loin de son père contre d’invisibles monstres basilics dragons cornus et autres taureaux à têtes et yeux multiples qu’elle imaginait soudainement placardés sous forme de simples dessins ou de bas-reliefs sur la porte du compartiment alors déjoueuse de périls et de mauvais sorts à l’image de la proue de certains bateaux les deux associations pouvant rappeler dans l’ordre à Babylone les motifs de la célèbre porte d’Ishtar bleue nuit et dorée comme ailleurs les visages aux yeux troublants de marins morts en mer Il se serait presque donc agi de revenir à la terre de ses cousins siciliens quand ils utilisaient l’expression iettare jeter le mauvais œil sur quelque chose d’effrayant et de menaçant en gardant à l’esprit qu’étymologiquement les ietti étaient ces liens que les dresseurs d’aigles ou de faucons attachaient aux pattes des oiseaux avant de les lancer pour quelques tours bien maitrisés dans les airs
elle pouvait également imaginer les voix dans le couloir tout proche mêlées à celles d’oiseaux nocturnes d’arbres et de feux évoluer dans une prolifération irrésistible de petites sculptures fluides en ronde bosse sur la porte du compartiment se répondant échangeant sur des propos divers qui a priori ne la regardaient pas mais la paix qu’elle pouvait retirer de ce silence à l’écoute !… lui faisait revenir en mémoire les paisibles goûters familiaux passés petite à observer ou justement à écouter derrière les portes pendant des après-midi entiers ses parents oncles tantes cousins conversant aussi bien que s’immobilisant dans des saynètes qui ici se distinguaient presque devant ses yeux par panneaux animés puis statiques et dans lesquelles, à l’image des divisions des grandes portes de la Renaissance, divers épisodes relatifs à la vie des saints soit dans ce train celle de parfaits inconnus -qu’elle pouvait néanmoins deviner imaginer physiquement par le son de la voix des pas- se succédaient et échafaudaient des sortes de séquences filmiques où il était aisé de retrouver des suites d’actions et de narrations allant peut être lui rappeler des choses vécues et même -se disait-elle dans le mystère de ses réflexions prises d’assaut par de brusques ou progressifs endormissements qui la rassuraient- ce qui aurait ressemblé à des signes divinatoires dont l’origine sonore avait après tout et dans bien des cas défini tout un pan de la tradition oraculaire antique