Connaissez-vous des gens qui ne ferment jamais les portes ? Ne les ferme pas à clé, c’est une chose ou ne les ferme pas du tout, jamais ! Une forme de confiance, d’inattention, de prévoyance et d’anticipation (toujours quelque chose à prendre dans le placard). Bien sûr, je connais aussi ceux qui ferment tout à double tour, portail, porte, haie, caméra et autocollant « voisinvigilant » sur la boite aux lettres (un œil !) et attendent quand ils partent en voiture que le portail soit bien refermé. À tout prendre, je préfère les premiers.
Il fut une époque aussi où l’on construisait sans porte, défaisant les cloisons, ouvrant l’espace, abolissant les barrières, même pour les toilettes et la salle de bain. Ma mère avait conçu sa maison ainsi autour d’un patio de verdure, de vastes espaces de circulation. Clairs et lumineux certes, mais j’avais le sentiment de vivre dans le panoptique, un espace sous surveillance ; sensation renforcée par la commande unique de l’éclairage (avec minuteur de plus pour éviter les oublis). Il me semble qu’on en revient de ces idées d’espaces désencombrés, difficiles à chauffer, gourmands en énergie. Il y a bien longtemps que je n’ai plus vu de salle de bain sans porte (même chez les vieux amis, elle est désormais séparée de la pièce à vivre par des rideaux de perle qui confèrent une certaine intimité). Portes qui fermaient mal ou ne fermaient pas du tout des toilettes du préau de l’école primaire, demi-portes ouvertes en haut et en bas des toilettes collectives (autoroutes, entreprises, campings). On reconnaît désormais qu’elles peuvent déranger les fonctions naturelles des enfants. Récit entendu des toilettes à la chinoise (jamais expérimenté heureusement). Récit des toilettes à la japonaise d’Amélie Nothomb. Dortoirs sans porte où la cloison à mi-hauteur est un progrès, châlits de refuge, wagons-couchette. Avec le temps on s’habitue, on se détend, on trouve l’intimité dans son for intérieur, on sait la faire respecter, on connaît les dangers de l’occlusion intestinale. Avec le temps, on réfléchit mieux au concept d’intimité et de partage, on en connaît un peu les pièges et les illusions, ce que l’on doit aux autres et ce que l’on se doit à soi-même.
Arrivent alors les réunions en visioconférence et tout est à recommencer pour maîtriser les dizaines d’ouvertures qu’on appelle fenêtres, mais qui sont des portes, des portes qu’on tient ouvertes ou fermées. Se construire des stratégies d’intimité sans s’enfermer. Je soupçonne certaines personnes d’être restées célibataires pour ne pas avoir à résoudre ce dilemme… et cela aurait bien pu m’arriver.
Toujours décalée, Danièle ! j’aime à te lire et tu me fais penser au souvenir horrifiant des open space au boulot, j’ai subi ça trente ans ça n’avait rien de convivial ! Ecrire son article dans un brouhaha enfumé c’est chouette dans les films américains, dans le réel c’est juste stressant et mauvais pour les bronches!!! Vivent les portes !
Tu as raison, souvent décalée. Des fois, je cherche à le faire exprès mais cette fois non. Comme j’ai du mal à refaire des choses déjà faites de mon autobiographie dans d’autres ateliers, il m’est revenu quand même cette histoire de l’organisation de la maison de mes parents pensée par ma mère sur laquelle j’ai beaucoup écrit mais pas en atelier. Oui, vivent les portes qu’on peut ouvrir ou fermer.
Ton texte est super, Daniele. La sociologie des portes. Très inspirant.
Merci Simone. c’est vrai qu’il y a dans ce texte plus de réflexion que d’émotion, même si j’ai essayé d’en mettre en parlant de moi. Etre plus écrivaine que sociologue, moins distanciée peut-être ???
Oh mais on peut très bien être sociologue et écrivaine, tu le fais très bien.
Plaisir de te lire Danièle.
Un bel inventaire des portes, ce qu’on en fait, comment elles nous éloignent, nous rapprochent des autres, ce qu’elles disent de nous, de notre confiance ou non dans le monde, s’ouvrir, se fermer.
Merci.
Merci Annick. ça fait plaisir ton retour dans cet atelier !