Paris Gare de Lyon, le soir, à 18 ans et 20 ans, voici 40 ans, à 21 h 00 passées ou 20 h 00 selon la saison, voies 17 et 19, ça dépend, vers Marseille et Modane, par Lyon, toujours, tous les jours aux quatre saisons, cohue du dimanche départ et retour, voyageurs du jour revenant de Lyon vers Paris Lyon ou ceux de nuit en partance de Paris Lyon vers Lyon, se croisent, se confondent ou confondant les arrivées et les départs, toujours prêts à se ruer sitôt l’affichage des deux trains arrimés au même quai, en avant-dernier départ, en direction du sud, la Méditerranée et la montagne, Notre-Dame de la Garde et le Mont-Cenis, couloir rhodanien ou sillon alpin, fontaine Bartholdi ou fontaine des Quatre sans cul, Marseille ou Chambéry, l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre en cas d’erreur de quai à la Gare de Lyon, on doit changer à Lyon en milieu de nuit, en cinq minutes chrono, sauf Marseille partant le premier et qu’on ne rattrapera jamais; j’ai pris les deux, l’un après l’autre, en seconde classe, en couchette et banquette assise ou en banquette-couchette, avec ou sans réservation de couchette ou de banquette assise, en compartiment ouvert ou fermé, si possible en bas mais la plupart du temps c’est en haut, les pieds près de la fenêtre quand ce n’est pas la tête, rideaux baissés mais yeux grands ouverts, courant après le sommeil à 160 à l’heure, chaussures délacées, chuchotements de couple enlacé, bavardages à voix basse et ronflements de sonneurs; mon avant-bras et couverture sur les yeux, bagage au pied ou sous la tête, recroquevillé ou allongé, en chien de fusil, sur le côté, je maudis ces portes coulissantes horripilantes, rabattues en cadence, ouvertes sans ménagement pour une estimation au jugé des places vacantes, deux ou trois places par personne de préférence pour le prix d’une, à défaut on prendra la dernière restante, si possible en avant et vers l’avant ou sinon à reculons en avant, porte-bagages bourrés des paquetages kaki de militaires un peu bourrés, de sacs bien empaquetés, transporté dans la nuit cahotante et trépidante, rythmée de signaux sonores de passages à niveaux rabaissés, de freinages serrés, d’annonces d’arrêts en gare et de redémarrages par à-coups, ma solitude est celle du permissionnaire de deuxième classe en formation retrouvant sa classe, que je ne suis plus, et du stagiaire-permissionnaire retournant en classe de formation que j’ai été, partageant pêle-mêle leur inconfort dans les trains filant dans le noir et que l’on ne peut pas voir.