De n’importe quelle couleur, orange, bleue ou tagués par des artistes inconnus tu rêvais d’être comme eux dans le mouvement du vent, dans les bruits des moteurs, te réjouir des sifflements stridents des freins, les entendre encore respirer au repos et repartir toujours repartir, les trains tu les prends à bras le corps, enveloppés de toutes tes idées, décorés de toutes tes envies chaque nuit harnaché comme les cordistes sur la coque des bateaux ou sur les ponts des barrages, une lampe de mineur sur le front ta vie d’artiste se révèle sur les wagons, jamais de vide dans tes yeux, rien ne t’empêche d’avancer dans la nuit, la pluie, le vent, les éléments se mêlent à tes pinceaux, aux gouttelettes propulsées par tes bombes de couleurs, et toujours je te cherche, je suis assise dans ce train, je veux te reconnaître, te retrouver, passer les frontières, as-tu dansé sur la Ballade Pour Adeline de Richard Clayderman sur les quais d’Erenhot à la frontière Chine-Mongolie, moi je danse avec toi, je devine tes dessins, ils les ont effacés, aux frontières c’est parfois compliqué ils ont soulevé les wagons pour changer les roues, les rails ne sont pas les mêmes en Chine qu’en Mongolie, la largeur des voies diffère, ils décrochent les wagons, les soulèvent à grands coups de klaxon, de sirène et d’énormes chocs bruyants, je ne bouge pas à la montée et à la descente de mon wagon, je ne suis pas rassurée, le train se reconstitue petit à petit, des contrôleurs sont montés, ils me posent un thermomètre sur le front et puis s’en vont, où es-tu, les rêves n’empêchent pas les trains d’avancer, les voyageurs de la cabine d’à côté je les entends, je les vois dormir, une enfilade de cabines ouvertes sur la vie la nuit, des familles entières, les enfants jouent parfois, les odeurs me prennent à la gorge, je prends de l’eau chaude au samovar, un sachet de soupe lyophilisée me fait mon repas, comment manges-tu, cordiste tagueur train de nuit, une vie d’artiste en mouvement, le bruit incessant, que fais-tu le jour, une fille aux cheveux spaghettis chocolat me regarde, la barrière de la langue c’est comme une autre frontière, je ne sais plus trop l’heure, dans ce train transsibérien, nous vivons à l’heure de Moscou, à quai nous prenons l’heure de la gare de la ville où nous sommes arrêtés, je suis décalée, je n’arrête pas de changer l’heure de ma montre comme sur le bateau du tour du monde où nous avions même perdu un jour, disparu, es-tu comme ce jour impossible à retrouver, impalpable, envolé, je m’allonge sur la couchette du bas, j’essaie de dormir, l’odeur est âcre, le soleil s’est couché sur le désert de Gobi, tu ne voulais plus taguer sur les wagons des trains arrêtés, taguer et voyager, les images au rythme de la musique des trains de nuit, je t’ai cherché en Italie, cette fille aux cheveux spaghettis chocolat je l’ai vue aussi à Rome, une capeline à la main et de l’autre tenant son cellular – me amore – je lui avais montré ta photo sans succès, elle continuait sa conversation – me amore – un homme lui portait ses bagages, ce n’était pas toi, tu prends des risques, train de nuit, sur les quais je me suis achetée du poisson séché, pas facile à manger, l’odeur colle aux mains, se les laver dans les toilettes étroites et toi te laver où et comment, comment voyages-tu le jour à l’envers de tes nuits, tagueur de train la nuit dans le monde entier, créateur d’images-vitesses, où es-tu, rêver de te retrouver me ferme les yeux, un long voyage de nuit, la nuit je suis avec toi, le train me berce de tous les bruits que tu connais, alors je les aime, tu les apprivoises, j’essaie de m’habituer, je ne parle pas beaucoup, tout ce que j’ai à dire je le garde pour toi, je vais te retrouver, je te verrai dans un long voyage de nuit, d’autres trains, d’autres nuits, tu le sais toi les trains n’empêchent pas les rêves de se réaliser.
Ps : Snobé en France, Richard Clayderman est très populaire en Chine où il est diffusé très régulièrement sur les radios.