Elle avait la tête d’un chat angora, la Jeanne, ou plutôt celle d’un gros chat persan, avec un nez bien écrasé sur les joues. Elle n’avait pas épousé Tarzan mais un petit maçon qui avait construit son pavillon dans les années 50, à cinq kilomètres d’Illiers, le Combray de qui on sait. Un petit maçon dont elle affirme avec beaucoup d’élégance qu’il est venu à elle « avec sa bite et son couteau ». Ce n’est pas qu’elle l’aimait beaucoup. Elle disait de lui qu’il était « alcoolique », lui le petit homme de quatorze ans son aîné qui l’a épousée lorsqu’elle s’est retrouvée enceinte. Ils se sont mariés en août 1942, et leur fille aînée est née en décembre 1942. Ce qui aurait fait du bébé une bonne grosse prématurée, il faut l’avouer, avec peu de chances de s’en sortir après quatre mois de grossesse. Car en ces temps-là, les filles qui étaient enceintes devaient absolument se marier, c’était une condition pour une bonne condition. Donc, elle avait épousé son Kléber « avec sa bite et son couteau », la Jeanne. C’est dire s’il n’avait rien d’autre à lui proposer en plus du toit, de l’alimentaire et du vestimentaire. Tous deux vont mener une existence entre la maison, la cour aux poules et le jardin qui potageait hiver comme été. Elle était standardiste et postière dans sa maison, la Jeanne, et demandait à ses filles de poster les télégrammes avec leur vélo une fois qu’elles ont été plus grandes, en plus du ménage et de la tenue de la maison. C’est qu’elle était malade, la Jeanne. Elle avait mal aux reins. Elle s’était fait enlever un rein et la vésicule biliaire. Ça lui a joué des tours et causé des soucis, à la Jeanne, elle ne pouvait pas toujours faire ce qu’elle voulait comme elle voulait. Enfin presque. Non seulement elle avait une tête de chat angora plutôt persan, mais elle en avait les poses lascives quand elle prenait son thé dans la petite bibliothèque, l’ancienne chambre coincée entre la salle de bains et l’escalier qui menait aux toilettes. Elle aimait bien être lascive et appréciait le mot féline, qu’elle aurait voulu s’appliquer à elle. Il faut dire qu’elle aimait les chats, les bons gros matous, les mistigris sans le sou qui faisaient pipi dans sa cuisine et son salon. Car chez elle, ça sentait le pipi de chat. Elle aimait les bons gros matous sans le sou et leur faisaient de bonnes vieilles caresses sur la tête et sous le menton. Elle faisait plus de câlins à ses chats qu’à son mari, ses enfants et ses petits-enfants. C’était comme ça, avec la Jeanne. Elle aimait caresser les bons gros matous qui criaient famine en bas de chez elle.
Jeanne, l‘ancienne postière, lisait dans cette petite bibliothèque où elle aimait prendre son thé à l’heure du goûter en écoutant France Bleu. C’était l’heure de la retraite et elle appréciait faire une petite dînette dans sa bibliothèque. Car à 75 ans bien tassés, elle jouait encore à la dînette avec sa petite vaisselle et son petit thé. Du Lipton, if you please, for you and I. Elle aimait faire des gaufres aussi, et invitait fréquemment à venir les déguster chez elle, bien que chez elle, ça sente le pipi de chat. Mais ça sentait bon les gaufres aussi.
Elle aimait les boudoirs dans son petit boudoir de femme veuve avec ses camées aux oreilles, au doigt et au cou. C’est qu’elle aimait les bijoux avec de l’or sur sa peau bronzée voire cramée après deux mois passés sur la côte Atlantique. « J’suis bronzéééeeeee ?», demandait-elle en appuyant bien sur le zée pour faire des minauderies qui n’appartenaient qu’à elle. Jeanne la minaude, on aurait pu l’appeler, elle qui penchait la tête dès qu’elle regardait les gens pour mieux les ausculter. Elle devait penser que c’était aussi séduisant que sa gaine de femme des années 50 qui voulait passer pour ce qu’elle n’était pas, une femme mince et ravissante. C’était un gros boudin des marchés percherons qui faisait tomber les pommes dès qu’on se pâmait pour elle. Elle avait la tête d’un chat angora persan et avait des gestes mesurés avec ses petits doigts boudinés, son petit nez renfrogné et ses petites oreilles camées. Elle mettait du vernis à ses ongles, ses petits ongles à ses petits doigts tout boudinés de petit boudin des années 40 et 50. Elle n’était pas Maryline ni Martine Caroll, mais plutôt Nadine Lhospitalier avant qu’elle n’épouse Rotschild. Mais c’est qu’elle avait des airs de précieuse quand elle prenait le thé dans sa petite bibliothèque, près des toilettes. C’était chic de recevoir dans son petit boudoir avec des boudoirs et un petit thé Lipton, if you please, for you and I, la canaille. Elle aimait sa casquette de Gavroche, sa casquette de Titi, pas le canari, le Titi parisien avec lequel elle aurait bien aimé s’encanailler. Car c’était une canaille, la Jeanne, la canaille des victuailles de chat persan aux yeux perçants qui voyaient tout. Elle avait du succès avec son Thermomix et son appétit pour les sauces bien faites, la chatte persanne pour laquelle on se pâmait en tombant dans les pommes face à ce petit boudin des marchés percherons. C’est con. Elle voulait être institutrice en fait, mais on l’a envoyée dans une ferme pour capter son salaire et elle a fini bonne à tout faire avant de se marier avec un bon à tout faire. Elle a eu cinq enfants par accident mais comme elle était mariée, ça passait. C’est passé comme une lettre à la Poste. Enfin presque…