Coin de route et de haie, en bout de course, il y a l’arbre, l’arbre grand, l’arbre immense, l’arbre seul, l’arbre noyer, l’écorce de l’arbre noyer, la rugueuse écorce de l’arbre noyer contre qui comptent les têtes, un, deux, trois, quarante-huit, quarante-neuf, cinquante, tous ceux qui sont pas cachés sont pris, l’arbre cache-cache, les mains sur l’écorce du noyer, barré pour moi, l’arbre noyer en bout de course, l’arbre d’arrivée, l’arbre où s’écrasent les vélos, l’arbre noyer et à son pieds les bottes de foin, les branches qui touchent les bottes de foins, les balles rondes, les balles emballées, l’arbre au-dessus d’elles, les branches nues, les branches lourdes, les feuilles de l’arbre noyer, grappes de feuilles vertes aux nervures en épi, les feuilles de l’arbre noyer et les fleurs, discrètes, les fleurs de l’arbre noyer, fleurs chenilles du même vert que les feuilles, du même vert que les fruits de l’arbre noyer, vert de la bogue, épaisse bogue protégeant le fruit de l’arbre noyer, le fruit qu’on nomme la noix, noix de pécan, noix de cajou, noix de coco, simple noix de l’arbre noyer, une cervelle dans un crâne, double hémisphère que le marteau frappe, la coque de la noix éclate sous le coup du marteau, sous la pression du casse-noix, sous la semelle de la botte, le crâne de la noix éclate, le cerveau mis à nu, le fruit de l’arbre noyer, la noix, écrasée, fracassée, séparée de l’arbre noyer, tombée de la branche, chute soudaine, couverture de noix sur le bitume, les roues des tracteurs broyant les fruits de l’arbre noyer, les roues des voitures, les roues des vélos glissant, vacillant, s’affalant sur le tapis de noix et des mains qui cueillent les noix sur le sol, mais ces noix détachées de l’arbre noyer sont-elles encore l’arbre noyer quand elles gisent sur le sol, dans leur bogue, dans leur coque, dans leur crâne, les noix tombées ne sont pas le noyer, le noyer s’est débarrassé de ses noix, il s’ébroue, elles tombent, il reste, l’arbre noyer, c’est un arbre immense, un arbre, gigantesque, un arbre monstre, il dépasse la haie, il dépasse les fermes, il dépasse les immeubles, l’arbre noyer, il gêne, il plante ses racines trop profond, l’arbre noyer, il creuse la terre, il gerce le bitume, il s’insinue sous la haie, l’arbre noyer, il est de trop, l’arbre noyer, il y a les noix, bien sûr, mais la route est trop près, mais les toits sont trop près, mais les fils électriques, les poteaux, la voie de chemin de fer, il est dangereux, l’arbre noyer, il ne bouge pas, certes, il reste là et il ne bouge pas, presque pas, il ne pousse plus, les feuilles de l’arbre noyer sont tombées, il n’y a plus de noix sur l’arbre noyer, il n’y plus que des branches, de l’écorce, des racines, l’arbre noyer n’est plus que là, planté là, là le jour là la nuit, là l’été là l’hiver, l’arbre noyer prend de la place, il prend trop de place, l’arbre noyer ne peut pas s’en aller, il ne peut pas rejoindre la forêt, il ne peut qu’étendre ses racines, il ne peut qu’étirer ses branches, il ne peut qu’être là, l’arbre noyer, il ne peut plus rien, l’arbre noyer, il n’est plus qu’une souche, l’arbre noyer, une souche arrachée qu’on jette dans un bois, une souche où poussent des champignons, une souche morte que la terre avale, l’arbre noyer devenu l’arbre noyé.