Le Popol Vuh raconte qu’Huracan fit exister la lumière puis la terre alors que les Fondateurs venaient de créer entre ciel et mer l’humain, l’arbre, la liane. Pulsants, grimpants, sans relâche en mouvement ascendant ils relièrent le bas et le haut, n’étaient ni l’un ni l’autre tout en étant l’un et l’autre: et, ni, et, ni, et, ni… dans ce mouvement mains dans les mains, l’humain, l’arbre et la liane sont des ponts entre les mondes. Méprisant la liane, l’humain aime louer les vertus de l’arbre, sa puissance, sa bienveillance, en vérité il voudrait être l’arbre, car en tout l’arbre domine. Il monte plus haut, plus longtemps, et dans une immobilité radicale: l’arbre ne change pas de place, ne questionne jamais la sienne, sagesse qui force le respect et la jalousie. Parfois l’humain s’approprie un arbre: voilà mon arbre, dit-il tranquillement. Curieuse démarche, car enfin qu’en pense l’arbre? On a récemment assisté à plusieurs noces entre humaines et arbres centenaires. Ces femmes, souvent anglo-saxonnes et divorcées, prennent le nom de l’arbre. Dans certains villages indiens, la tradition impose aux jeunes filles d’épouser un manguier qui les protègera durant toute leur vie de famille. Compère docile et consentant dont le tronc semble fait pour ses bras, dont l’écorce semble appeler ses caresses, l’arbre est au service de l’humain, comme tout le vivant, règne après règne. Il soutient les balises des sentiers, dessine les allées, on peut y suspendre un hamac ou une corde, y habiter ou y mourir, il nous aide à respirer, son ombre est salutaire, la feuille qu’il perd inspire des chansons en mode mineur, son fruit, sa sève, son bois nourrissent, abritent, soignent. L’ours, lui, s’y gratte, sûr de ne pas le casser.
Témoins silencieux de nos brèves existences, les arbres enveloppent les générations, comme ce cèdre planté au coeur d’un mas catalan qui a vu naitre ma grand-mère. À son contact l’existence prend volume. Il a vu chaque vendange depuis 300 ans, plusieurs guerres, des départs, des fêtes, des enterrements, des mariages, l’arrivée de l’eau, du téléphone, du frigidaire, de la machine à laver, des réfugiés, de Danielle Darrieux en limousine visitant la châtelaine. Ma grand mère mourra comme aux temps révolus, là où sont toutes ses racines ainsi que celles du cèdre et des arbres autour de lui, dont elle éprouve chaque ombre : celle du tilleul rafraîchit et détend, celle du figuier donne la migraine (surtout si on s’y endort), celle du platane assèche la peau, celle du citronnier tâche la peau, celle du cèdre apaise. Si l’arbre me fait quelque chose, quel effet je fais à l’arbre? Est-ce que je donne soif au Tilleul? Est-ce que je tâche les figues (peut-être parce que je ne les aime pas)? Est-ce que mes caresses réchauffent la sève de l’abricotier? Et puis, dois-je tutoyer ou vouvoyer ce pin? Qui suis-je pour l’arbre?
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Vous qui habitez nos ventres, nous sommes votre gras; de l’huile de palme, d’olive, d’arachide, de coco, nous sommes votre subsistance et votre santé, l’industrie agro alimentaire, pharmaceutique, parapharmaceutique, cosmétique, vestimentaire, nous sommes vos drogues, les fûts, les caisses et les bouchons de vos vins, nous sommes les pages de vos livres, journaux, magazines, nous sommes votre papiers et vos enveloppes, nous sommes vos maisons, vos ustensiles de cuisine, vos chaises, vos tables, vos fauteuils, vos canapés, vos repose-pieds, vos échelles, vos placards, vos bibliothèques, vos lits, vos cadres, vos châssis, vos crayons, vos instruments de musique, vos planchers, vos poutres, vos portes, vos étagères, vos mezzanines, nous sommes vos tombes.
… des histoires qui s’égrainent – ou poussent leurs racines, quelles présences pour l’arbre indéracinable de nos vies ! Merci pour ce voyage !
Merci Christiane. C’est une ébauche, pas vraiment su par quel bout prendre l’arbre…
J’aime beaucoup la litanie « nous sommes », et l’ensemble pulse pousse pousse, prend dans les bras, l’humour fait cela comme un arbre