Le monde dort. Lui seul est éveillé. Comme chaque matin depuis quelques mois Marcel ouvre les yeux vers cinq heures. Il ne se lève pas de peur de réveiller Jeanne et regarde par la fenêtre aux volets ouverts le ciel qui peu à peu dévoile son aurore. Lorsque l’énumération pensive des tâches qu’il ne peut plus accomplir cesse, il relève l’oreiller pour respirer et apercevoir le balai des oiseaux. Depuis sa maladie il observe. Observe les allées et venues dans la maison, la pile de médicaments sur la table de nuit, les paroles compatissantes, parfois larmoyantes. Il observe son corps disparaitre.
Elle le cache dans sa bouche. La langue le pousse entre la joue et les molaires. Sous la sécrétion salivaire qu’elle ne peut retenir, le morceau de papier s’amolli, l’encre se dilue à la salive. Elle est lingère à l’hôpital psychiatrique, bâtiment réquisitionné par les Allemands depuis …42 (à préciser). Madame ! Madame ! Komm, Komm ! Son cœur bat trop fort, ses poings se serrent. Elle a juste le temps d’avaler la boule gluante avant d’être emmenée au bureau du commandant.
Sur ses mains, sous ses ongles, la vase. Sur ses tabliers, les roses de son jardin, les géraniums en pot et l’empreinte des pattes du chat. Du jardin à l’estran, de la cuisine au marché, des promenades de vies quotidiennes. La lecture du calendrier des marées, la force du coefficient lui donne le rythme. Prendre le vélo, sangler le panier de pêche ou le maillot et la serviette de bain au porte bagage. Retrouver ses «coins» à elle, rendez-vous avec les crevettes ou le rocher baigné de soleil.