autobiographies #01 | paysages autobiographiques

Dans la famille on disait que si le grand -père avait acheté cette maison pour sa retraite, c’est que le paysage des Albères lui rappelait celui du Tonkin, les collines vert bleuté au loin et l’eau partout présente. Le souvenir qu’il en a lui est celui d’un naufrage. La plupart des maisons vides, parfois louées, souvent abandonnées. Quelques unes habitées à l’année par des propriétaires qui y avaient mis toutes leurs économies et tous leurs espoirs. Le village vacances adossé au lotissement était en ruine, un vrai terrain de jeu. Faillite du gestionnaire, désaffection des estivants, personne ne savait bien. Loin de tout, accessible par une route étroite et tortueuse qui se terminait en mauvais chemin de terre. Et puis face à soi quand on tournait le dos aux collines, l’immensité de la mer. Il n’y était allé que quelquefois, très jeune encore, le grand-père avait déménagé ensuite une nouvelle fois pour des lieux plus urbains. Malgré tout sa passion des grands espaces venait peut-être de là, de ces courts séjours au bout de nulle part, même si à vol d’oiseau on n’était pas à plus de vingt kilomètres de la côte et des villes touristiques. Le grand-père racontait peu de sa vie de colon. Il y avait quelques photos, mais on n’y voyait que des gens, pas de paysages. Elles étaient en noir et blanc. Il gardait les couleurs et les odeurs dans sa tête et écrivait, écrivait interminablement sur cette ferme à laquelle il avait consacré sa vie à la suite de son père et de son grand-père. Il ne sait même plus le nom de ce lieu, il faudrait le retrouver sur une carte ou demander. Il ne l’a jamais fait, peut-être pour garder cette part de rêve qui s’attache aux échecs.

Il a aimé les savanes noyées de la plaine de Kaw, pas de colline, partout le plat et l’eau, mais sans torrents cascadant ou mer dans le lointain, juste des canaux que la végétation envahit et qui se prend dans les hélices des moteurs. Ils l’ont emmené à l’habitation Les plaisirs où les fouilles sont en cours pour retrouver les traces de colonisation. Des ruines, des escaliers monumentaux, des restes de murs, le schéma des canaux d’accès et d’alimentation du moulin à cannes. Presque rien, juste cette ambiance étrange qu’il avait ressentie dans un jardin de Villahermosa au milieu des sculptures olmèques. La même humidité, les mêmes mousses noirâtres sur les pierres, la même nature puissante qui s’insinue dans tous les interstices, le même sentiment de désastre que celui qu’il ressentait dans le village des Albères du grand-père.

Demain, ils iront plus loin sur une habitation de l’Oyapock à Ouanary aussi en terres noyées. Une habitation où l’on a tout essayé l’indigo, la cannelle, le girofle, le café, le coton, la banane et puis la canne à sucre. Une habitation revendue par morceau aux descendants des anciens esclaves par les derniers propriétaires qui avait succédé à une compagnie par actions qui changeait sa dénomination à chaque assemblée générale et renouvelait ses appels de fonds. Lui qui ne se fixe nulle part, il commence à comprendre comment un paysage peut entrer en dans un être jusqu’à devenir une part de lui-même aussi nécessaire que l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit ou la madeleine que l’on mange. Les terres noyées commencent à l’habiter comme elles ont dû habiter son ancêtre.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

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