Un champ. De l’herbe, rien que de l’herbe. Des feuilles d’herbe, des tiges d’herbe, des fleurs d’herbe. Du pissenlit peut-être. Le ciel bleu, il fait chaud. C’est l’été. C’est toujours l’été. Assis. Rêver. Rire. Le champ est est en pente. Le monter. Aller au plus haut. Pas possible d’aller plus haut, après c’est les broussailles, la route. Se mettre en boule et se laisser rouler. Ça fait mal au cou, aux pieds, au dos. Au ventre, de rire. S’allonger en travers de la pente et se remettre à rouler. L’herbe dans le visage, puis le ciel, puis l’herbe, puis le ciel. La tête qui tourne. Rire, toujours. Un champ. De l’herbe, rien que de l’herbe.
Un champ. Tombée de la nuit. Je suis épuisé. M’allonger, dormir. La gare, juste à côté. Ne pas louper le train de 6 heures pour rentrer. Dormir dans le champ. De hautes herbes. Et des bêtes. Plein de petites bêtes venues me bouffer. Impossible de dormir. Trop fatigué pour me protéger. Trop dévoré pour dormir. Ne pas louper le train de 6 heures. Toutes les bestioles de la vallée se sont données rendez-vous sur moi. Je les entends parler de moi. Je délire. Un champ dans une nuit noire peuplé de minuscules démons. Trop fatigué pour me protéger. Je lutte sans bouger. Trop dévoré pour dormir. Et puis, le champ cède, il faiblit. J’arrive à fermer l’oeil. Le train de 6 heures est parti sans moi.
Un champ. En haut d’une falaise et en bas, la mer. Herbe rase. Impossible de pousser, sans cesse balayée par le vent du large. Horizon lointain, la mer jusqu’à perte de vue. Le vent qui balance ses gifles. Les oreilles meurtries qui bourdonnent. Les mouettes qui font du sur-place. Le soleil qui chauffe rien du tout. L’herbe qui veut pas pousser. Un champ en haut d’une falaise qui rêve de la mer. Se laisser tomber pour la rejoindre. Tout le paysage est en train de tomber. La mer aussi. Ne reste que le souffle. La vitesse de la chute. Le vent incessant et les mouettes qui rigolent. L’herbe qui ne pousse pas et le soleil qui n’en fout pas une. La chute interminable.
Un champ. Du blé. Une odeur de paille sèche. L’air est lourd, la chaleur pesante. Suffocante. Un souffle coiffe les épis. Un main passée dans les cheveux blonds d’un enfant, d’une jeune femme. Le souffle forcit, il devient un vent rageur. Les cheveux partent en bataille. La guerre est déclarée. Tous les épis virevoltent par ondes successives. Le bruit assourdissant du canon déchire l’atmosphère. Les explosions illuminent le ciel de leur éclairs aveuglants. Et la pluie s’abat par grosses gouttes sur le champ de bataille. Jusqu’à l’épuisement. Ne subsiste plus qu’une odeur. Grandiose, symphonique, omniprésente. L’odeur du blé juste après la pluie est celle des grandes vacances.
Un champ. Sur les bords, quelques pointes de rouge parsèment le fond vert. Quelques fleurs sortent timidement leurs pétales entre feuilles, tiges et herbes folles. Et puis, en pénétrant dans le champ, le rouge se fait de plus en plus intense et emplit progressivement tout l’espace. Les fleurs de coquelicot gagnent la partie. Au coeur du champ, en son centre, c’est une mer de sang qui ondule. Quel crime ? Qui est mort ? D’où vient ce sang ? Et puis la plaie commence à disparaître, quelques gouttes de sang subsistent sur les bords du champ puis disparaissent. Mon champ de coquelicot a la beauté d’un cauchemar évanescent.
Un champ. Tout est blanc. Un champ de je-ne-sais-pas-quoi recouvert de neige. Du blanc, rien que blanc. Un ciel bleu et blanc. Blanc des gros nuages qui dorment immobiles. Un bosquet tout là-bas. Cinq silhouettes d’arbres sans feuilles et en dessous, un cimetière. Un champ de blanc dans lequel est perdu un cimetière. Minuscule, perdu dans cette immensité immaculée. Des silhouettes d’arbres noires, des contours de tombes noires et tout ce blanc. Quelques touches de bleu. Le froid règne en blanc, en noir et blanc. Et bleu. La mort. L’immobilité. Un champ tout blanc.
Par touches comme si l’on cherchait ses mots, simples, comme si l’on en revenait pas de ce ce que l’on voit, de ce que l’on sent et qu’il fallait le nommer plusieurs fois pour le rendre réel. J’ai beaucoup aimé le paragraphe sur la glissade dans la mer où tout dégringole, aspiré, par cette autre étendue.
Merci pour ce temps de lecture. J’expérimente cette écriture par touches, je la trouve riche. Je ne fais pas de peinture mais j’imagine que c’est un peu pareil.