C’étaient les gouters dîner du dimanche autour de la table de la salle à manger; cette table trop grande pour la pièce; cette pièce trop petite pour contenir tant de monde; tant de chaises ; les paille et bois; les lourdes à montant chantourné; les pliantes en métal; toutes branlantes ; en moyenne cinq adultes et six enfants, souvent plus, autour de cette table qu’une plaque de verre découpées dans les entrepôts d’un théâtre, recouvrait; sa marqueterie usée; du temps où l’on mangeait avec une nappe sans molleton; carrés couverts d’embus; de lignes; d’auréoles qui se voyaient sous le verre; paysages à suivre avec le doigt dans le raffut des conversations; les tasses de porcelaine dépareillées; les mug; souvenirs de famille; de tournées; de voyages linguistiques des enfants; celle avec la reine d’Angleterre et celle avec Staline; la fleurie; les verres cantine; les verres à pieds; les petites assiettes ébréchées, les deux théières; l’une au thé noir, l’autre au thé caramélisé qu’on avait du mal à finir; ce thé offert par un américain de passage — car on ne gâchait rien et surtout pas les cadeaux; les jus en bouteille de verre ; le pain de mie d’aspect javellisé cramé aux angles; l’odeur du toasteur dont la grille rougeoyait; le fromage qui coulait sous cloche— il y avait les amateurs de salé; munster; gruyère; camembert; jouxtant la boite en carton du pâtissier avec les gâteaux individuels qu’on se partageait; une tarte aux fraises garnie de crème pâtissière — elle perdait toujours ses fraises; les choux à la crème moussus; l’éclair au chocolat d’où s’échappait la garniture et dont en s’appliquant on pouvait faire jusqu’à cinq parts; le plat avec la tarte maison; celle au fruits de saison que les enfants ne voulaient pas goûter; se ruaient sur les gâteaux secs de la boite en fer; de sa boite en fer; la russe noir et or avec l’ours en relief; quand lui dormait sur le sofa du petit salon; un classeur sur le ventre et toutes les feuilles répandues sur la moquette moutarde ; feuilles de service ou plans de scène portant le cachet du théâtre; et la poupée de porcelaine posée sur le bord du meuble qui lui faisait comme un chapeau; ce meuble à pain en noyer vernis de sa mère, la mémé déjà morte; les fauteuils dépareillés; les deux dix-huitième au tissus soyeux effilochés: scènes tendres en broderies; figures emperruquées et arbres à la française; le fauteuil directoire instable; le russe façon crapaud à côté du cuir trapus et râpeux, le bureau plein de courriers; la bibliothèque aux pléiades en poussière; la lettre de Molière encadrée; leurs photos; elle et lui; leurs photos dans des costumes d’un autre âge; leurs visages d’avant ; leurs jeunes visages en images dans l’appartement qui surplombe la rue pavée où déambulent des groupes hagards; touristes descendus d’autocars ; leur bruit; leurs langues; et le marchand de Sacrés- Cœurs ; le marchand de glaces à l’italienne; rose; vert; jaune; en torsades sur les cornets à une, deux; ou trois têtes; la boutique des mille et une nuits avec ses soieries synthétiques; l’arrière porte en fer des catcheurs dans le renfoncement de l’immeuble tout en bas; en face de la fenêtre du salon où il dort; lui qui s’éveillera; un ultime ronflement; un sursaut; regardera sa montre ; un bracelet large qui tourne autour du poignet velu jusqu’au doigts ; l’alliance en or blanc; qui déboulera dans la salle à manger; houspillera son monde; gentiment : qu’on aurait pu le réveiller ; qu’il serait en retard…
Atteindre le troisième bâtiment — on s’est engagé sur le chemin de terre—; cet ancien hangar à poules sur la droite; un baraquement d’une longueur de 15 mètres; plutôt bas ; 3m50 entre les fermes tout de même; une double porte en fer ; sa serrure moderne avec une clé à trous ; parfois la porte bloque; mousses ; herbes ; on ouvre; des cailloux raclent le ciment; dès l’entrée on voit des choses; un arrangement bizarre ; une tête d’ours polaire ou ce cheval à bascule dont les pattes sont enveloppées de bandes sanguinolentes; une mandoline; des verres et des armes de poing sur une étagère; au sol un amoncellement de sacs de jute; comme une réserve de céréales; un diable ; une chaise de fer peinte en rouge ; des valises en cartons bouilli et des boites à chapeaux; le jour enlumine la verrière; il vibre plus qu’il ne traverse la couche de verre empoussiéré; le courant d’air fait danser des fantômes d’araignées; on allume les grands fluo qui donnent aux choses et aux peaux une teinte blême; sur la gauche de l’entrée se trouve une pièce obscure; les fenêtres sont aveugles; masqués de carton ou d’anciennes affiches; en tâtonnant retrouver l’interrupteur sous une manche de costume pendu; des linéaires de vêtements; tous ces costumes recouverts de draps ou de rideaux recyclés; les protéger du rayonnement lunaire; d’elle qui aime la soie; les lins teints; toutes ces nippes en sommeil; ces perruques décoiffées sur leurs têtes de polystyrène avec les noms d’acteurs ou de personnages au marqueur indélébile; des mannequins au corps d’enfants sont assis sur une longue étagère; nus et glabres; leurs paumes sans doigts suspendus dans l’air; il semble qu’ils applaudissent…
la tarte qui perd ses fraises et les cailloux qui raclent, bruits, odeurs, couleurs…totalement embarquée par ton texte Nathalie. Merci
Merci Marie-Caroline.
« Il semble qu’ils applaudissent… » NON ! Ils applaudissent. Comme moi. Bravo Nathalie Holt . Merci de nous embarquer, en effet, si grandement.
Merci Ugo pour vos retours chaleureux et encourageants
La vitalité incroyable, à foison la fête et joie, une toile impressionniste avec guinguettes et petites péniches, et ceci « »paysages à suivre du doigt dans le raffut des conversations » et la serrure moderne sur le vieux hangar…. Vraiment touchée
Merci beaucoup Françoise
Incroyables et chatoyants, ces deux lieux évoqués et je suis étonnée de la fluidité que vous imposez à ces fichus » ; «
Merci beaucoup Catherine
Quelque chose de Fanny et Alexandre ! Des couleurs, des textures, des odeurs et des goûts, du présent et du passé en tourbillon de crème glacée,
Du temps qui s’empoigne