Serrée dans le bus bondé, place assise près de la fenêtre, aux pieds mes sacs poussés en partie sous le siège devant moi, montée difficile, dans la file d’attente, ça poussait, ça pressait, ça secouait, hautes marches à grimper difficilement avec mon paquetage, on aurait dit une mule chargée, sac à main, sac à dos, sac à provisions, sac à livres, en haut réception par deux conducteurs contrôleurs, on parle une langue que je ne décrypte pas, polonais, hongrois, serbe, mais je finis par passer, trouver une place, m’installer, soupirs de soulagement, on va partir. 8h du soir, enfin 20h. La valise, étiquetée, verrouillée, ficelée, enfoncée dans la soute du grand bus qui va traverser l’Europe. 23 heures jusqu’à Paris. Peu de bruit, étrangement, les voyageurs chuchotent, accents colorés, pleurs d’un bébé vite apaisés, pas de cris, pas de musique, tout est calme, sauf le moteur qui ronronne, qui bourdonne, ronfle, s’entraîne, vibration sous mon siège, poussée de chauffage à la limite du supportable, je suffoque, déjà fatiguée, saturée, saoulée par les mouvements incessants… et puis on part enfin, le bus sort du garage souterrain, le soir est tombé, lumières diffuses, grisaille d’avant la nuit, brouillard, vitre embuée, je la frotte, je me sens enfermée, je suis enfermée pour la nuit, je regrette le voyage en avion, 2h de traversée, je maudis le volcan islandais, éruption par surprise, explosion, envoyant les cendres dans toute l’Europe, paralysant le trafic aérien, remplissant tous les trains, bien contente d’avoir trouvé ce voyage en bus long long long, arrêt toutes les deux heures, arrêt imposé aux chauffeurs, aux voyageurs, descendre pour prendre l’air, pour prendre un café, pour faire la file aux toilettes, pas le temps, il faut remonter, ne pas rater le bus, vérifier les sacs, ressortir un livre, mon voisin est resté tranquille, à sa place, dans les mains un roman de langue allemande, d’un écrivain que je ne connais pas, on échange à voix basse, il descend à Strasbourg, encore toute l’Allemagne à traverser, à nous l’autoroute, lumières ponctuant les kilomètres, panneaux à décrypter dans l’obscurité, l’éclairage du bus est éteint, pour lire il faut une loupiote et de bons yeux, reposer les yeux, fermer les yeux, déconnecter, oublier la fatigue, la contrariété, zen, on respire, on souffle, air déjà épaissi dans ce car plein à craquer, dehors, rien à voir, rien pour accrocher le regard, des lignes, des fuites, des rayons, mange un peu, même pas faim, où est la bouteille d’eau, l’air est sec, il faut boire de l’eau, le corps ankylosé se rebiffe, crampes dans les jambes, fourmillements dans les pieds, pas la place pour bouger, encore la moitié de l’Allemagne à traverser, finir le livre, commencer un autre, plus distrayant, trop de contraintes physiques, l’intellect se relâche, faiblit, essoré, émoussé, un peu d’eau, il en reste, un fruit, ou plutôt des petits gâteaux, plus pratiques, mais ça crisse, ça cracotte, ça s’entend fort dans ce car si silencieux, comment font-ils pour ne pas faire de bruit, même le bébé dort, mon voisin dort, les chauffeurs se relaient toutes les deux heures, le bus avance, mange des kilomètres, mange la nuit noire, mange la brume sur le sol, je finis par m’assoupir, sommeiller, un peu, rêver, à peine, réveillée par des secousses discrètes, par des klaxonnements brusques, l’obscurité faiblit aussi, le jour pointe, du rouge à l’horizon, de l’orange, du jaune, du blanc, éblouissement, aveuglement après ce noir de la nuit, le jour se lève, le paysage défile, du plat, de l’autoroute, des arbres, des maisons, des jardins, des gens, des trains, des voitures, et un ciel gris plein de cendres du volcan islandais.