autobiographies #14 | et c’est bien

la panière d’hier en casier de plis dormants

des montagnes d’ordures sur les trottoirs les feux épars (chasse aux rats ou feux de joie) de gens qui chantent en se tenant la main sous le métro aérien

une mine sans charbon ni or

de grandes pièces de bœuf à dos d’homme qu’on hale 

les caniches et les chevaux dans le trou qui fait cirque en attendant  les bulldozers

un  grand singe sur l’affiche hérissée de building ; il rêve  

les rats chaussés de pointes ou le masque de Fantômas sur l’écran bombé du téléviseur qui neige

Sarah Kofman toute petite et ronchon dans le couloir de Tolbiac qui se donnera la mort après qu’elle aura écrit la hache qui fend  le père en deux

« Comme le désir sexuel la mémoire ne s’arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants les êtres réels aux imaginaires le rêve à l’histoire ».

Flux saisit d’arrêts brusques; flux suspendu au bout des langues. Images et noms réinventés en images et mouvements. Pièces ou fragments vrais de toutes pièces recomposés avec les trous.  Patchwork en pièces de temps…

Histoire qui s’éclaire au noir des fosses qu’on ouvre.

« dis que ça a existé. »

les survivants vieillis (édentés) qui entrechoquent leurs mémoires (en silence)

les cours du faubourg Saint Antoine aux accents d’Europe centrale avec l’odeur de colle à bois et d’essence de térébenthine

une cabine sur la place d’un village de France où quelqu’un passe un appel vers New York et le bruit des pièces qui tombent

un jeu de murmure à l’oreille; phrase qu’on se passe et qui laissent sur la route des lettres  ou des mots comme on laisse tomber des dents.

les bouches et les têtes qui ont des trous

le boucher qui passe avec son camion réfrigéré

le cinéma de mairie où image et son comme dans une parodie de Godard se désaccordent si bien

la religieuse qui agrafe ton arcade sourcilière 

la cour où se brise ta première dent 

le  visage de Nicolas penché sur le cithare 

les corps au hasard de la nuit chez : « chez pas qui » 

la cuite allemande: coca, bière, whisky

les frites de quatre heures du matin  au bistrot des taxis juste en face de la morgue 

un train de nuit et tu chantes avec lui

le solex tombé en panne rue saint jacques et redescendre en roue libre

Bacon devant La Coupole

Alice la serveuse trop grosse pour passer le miroir

le Brooklyn Bridge avec l’homme sur le banc conforment à l’image

…apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire…

De quoi rêve le singe ?

les corps squelettiques dans les geôles

…les morts aux vivants…( je possède des morts je les ai tous abandonnés Requiem Rilke)

les corps paria décharnés avec le virus qui descend du singe

les folles de mai

Woyzeck qui plonge sa tête dans le seau pour retrouver la lune ou le couteau dans l’eau

Angela Davis qui parle du Chili et tu crois qu’elle t’a devinée dans la foule

« mon mal vient de plus loin « (Phèdre)

les femmes échassiers entre deux portes

l’anpe de la rue Pigalle

les six étages sans ascenseur

les forains du boulevard d’Anvers à Clichy : la femme au boa ou celle à barbe ;  le tatoué  qui soulève  les passants comme des poids ; les poupées trop grandes et les carabines à air comprimé ; les pommes d’amour qui s’étoilent aux néons de l’entrée interdite et la voix qui fait réclame pour des corps ordinaires

le polyptyque de l’agneau mystique et la jeune fille à la perle

la guerre est la santé des états qui jouxte Les dialogues aporétiques dans les salles où l’on fume encore

la nuit d’un théâtre antique où point le jour

un cheval du marché de noël de Cracovie qui n’a rien vu ni ne se souviens puisqu’il est un cheval : de bois

le nez de Pinocchio qui s’allonge

le nez de Cléopâtre qui s’efface avec les accents circonflexes

tu n’en reviendras pas … Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places Déjà le souvenir de vos amours s’efface Déjà vous n’êtes plus que pour… poèmes ou chansons qui passent

la mort qui se fait une place dans la maison

le rêve récurrent du mort toujours vivant mais mort

la Bastille en liesse sous la pluie

la Bastille en noir sous le soleil d’hiver

« pleure pas grosse bête tu vas chez Noblet » dans sa vitrine gelée 

le corps qui se souvient

OUI

une fugue en boucle de la mort (lait noir de l’aube nous le buvons)

la litanie des lits

litanie bleue (ou verte) selon

Antigone ou Hamlet?

la douleur qu’on croyait pour toujours alors qu’on n’aime plus


A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

8 commentaires à propos de “autobiographies #14 | et c’est bien”

  1. ah ! dans mes stars j’avais oublié angela davis. elle trouve place chez vous, elle y est bien. je croyais n’avoir rien compris à la consigne, en vous lisant je me dis que si, peut-être. et aussi que si on mettait bout à bout toutes ces images flash, ces lancées dirait fb, … en fait, je ne sais pas

  2. oui des lancées, des amorces, des riens qui sont beaucoup, des images de boucher et de carcasses d’animaux qu’on charrie, du Bacon dans tout cela
    un monde néanmoins assez étranger au mien, étrange…
    je navigue à vue…
    merci Nat

  3. Quelle force vous avez pour passer ainsi du « glanage » à la construction. Merci Nathalie Holt de donner formes, d’informer, ces mondes qui nous parlent. Merci.