autobiographies #13 | manqué

Indomptable, ça commence là. Je m’empare des ciseaux et je coupe — Jeanne Poulbot— les nattes tombent; une frange en biseau barre mon front. Pas plus fille que garçon: Moi. « Garçon manqué », s’ils veulent dire comme ça… J’ai huit ans, je lui crie: va voir ta pute. Je l’ai crié quand il partait. Les soirs il ferme la porte derrière lui; les soirs après souper il va ailleurs. Autre maison. Autre couche. Elle me demande de laver ma bouche: Odette le demande, c’est la bonne — bonne c’est le mot qu’on emploie—, Odette qu’on emploie pour la cuisine; qui coud lave et répare, nous prépare et nous répare, fait les courses, conte, cajole, rabroue ; Odette vit au dessus de l’appartement dans une chambrette, elle vient aussi dormir avec moi —même si—:« mademoiselle pisse au lit »—là c’est moi qui le dit. Odette qui me demande, m’intime de…— c’est pas qu’on est riche, le petit coffre à billets se vide; mais il y a Odette venue de Bretagne, on garde de quoi payer Odette—; Odette avec ses images pieuses qui me demande : « que vous laviez votre bouche Mademoiselle. Une enfant ne dit pas ça, et de surcroit une fille ». Fille ou pas, je réplique que Moi je crie. Parfois j’en pleure. Odette me serre dans son tablier, un parfum de Cologne grise sous la blouse … Et je frappe les touches du piano comme la fille aux marteaux, un conte que j’ai fait ; une fille des bois brise tout sur son passage… jusqu’à… et je dépose des filets de salive collante de bonbon sur les touches du piano de mon père;  je veux que ses doigts poissent. Quand il rentre il joue. « Doucement Mademoiselle votre père travaille ». J’ai huit ans ce matin je ne jure plus, c’est promis! Même cracher, promis j’arrête. Je ne veux pas augmenter la tristesse. Je veux l’entendre rire et qu’elle se lève, qu’elle danse … « Fais glisser tes mains sur les cordes de ta harpe. Tu veux bien? »— « Votre maman Mademoiselle ». Je comprends à demi mot ce qu’on a retiré de son ventre: « la batterie à faire des enfants et d’autres choses encore». À trente quatre ans elle ne saigne plus et moi je pisse dans mon lit. J’ai huit ans  entre deux guerres. Leurs gueules fracassées à béquilles en lambeaux de visages, morts debout dans l’escalier; et l’accordeur avec son moignon et ses culs de bouteille sur les yeux devant le piano de mon père. C’est fou comme je l’aime: mon père. Ma grand mère me fait du thé d’Odessa, elle joue Chopin, elle roule les R. R comme Rabbin, Ratte au bouillon, Rire sous cape, Règle, Raspoutine, Résistance… c’est la mère de ma mère une vraie peau de vache ( de la Baltique ) qui me passe tout. Une rousse russe qui fait tourner les têtes et les tables. Nous mangeons des cornichons géants qui trempent dans la saumure. Quand je pars en galipettes arrière sur le tapis qui rappe les fesses on voit ma culotte, j’ai huit ans, je m’en moque…

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

15 commentaires à propos de “autobiographies #13 | manqué”

    • Merci beaucoup Danièle je cherchais le mouvement, le corps de l’enfant, s’il est « un peu là » tant mieux…

  1. J’aime beaucoup. Entre l’ivresse de la colère, la nostalgie affective et ces images d’une autre époque. J’en sors chancelant, enivré par l’énergie de cette petite fille.

  2. Dans rebelle, il y a Belle. Plurabelle dirait Joyce. Merci Nathalie Holt pour cette petite fille plurielle et la force de ces torrents d’émotions tellement puissants; Merci.

    • Merci Ugo pour les retours si généreux ( et réveiller l’enfant rebelle qui saute par dessus ses tourments )

  3. yep ! ça me rappelle « avoir la bouche propre », une femme qui gardait mon fils ne prenait que des enfants « qui avaient la bouche propre ». Très bel état de colère, culotte par-dessus tête et gros mots, que ces nuits ans avaient de charme…

    • Merci Brigitte et puis bravo c’est un cadeau qui fait revivre un peu du théâtre qui me manque

  4. Du #14, je remonte les textes, et celui-ci est tout de rage collante et débraillée, un désastre d’amour et une rébellion au vinaigre,
    Tu te demandes si le corps est là ? Il est celui qui a englouti la bouchée Mange-moi de Alice et qui déborde, celui du braillard Gargantua que mille servantes ne peuvent calmer ! Il est la vie même, on l’adore cette petite indomptable par ici,