La porte de devant donne sur la rue sans nom qui traverse le bourg. Séparée du goudron par une bande de terre accueillant cinq pétales hexagonaux en ciment vert : fleur de bienvenue. Large, pleine, en bois massif sombre, plus proche de l’acajou que du chêne, sans moulure ni plinthe, sans poignée non plus, marquetée comme un plateau de jeu, juste une fente pour une clé plate. À l’intérieur, un bouton épais en cuivre de trois centimètres de diamètre ouvrant à gauche, fermant à droite. Sur le côté de la porte, une imposte en verre opaque jaune ambré, large de quarante centimètres, haut d’un mètre quatre-vingt. C’est le plus souvent là que la main cogne, avant de pénétrer dans la minuscule entrée en marbre vert où se trouvent deux parapluies, toutes les clés de la maison, et un petit miroir mural en rotin.
La porte de derrière avec sa poignée lâche, fait face à quelques mètres de distance à la porte de devant. Ouvrant sur un balcon sans rampe, brut de béton, c’est une porte à croisillons, quatre rangées de trois carreaux, un bois clair jamais peint. La porte de derrière est encadrée de part et d’autre par deux minuscules fenêtres également à croisillons, dans le même bois brut, mais aux clenches anciennes, souvent grippées. La porte de derrière est dans la cuisine, où le sol n’est pas en marbre vert, mais en petits carreaux typiques des années 60, bleu gris piqué de jaune.
La porte de la salle à manger est double, sans poignée, ses deux battants ferment avec un système de crochet plat assez raffiné, mais rarement utile. Vitré du même jaune opaque que celui de la porte du devant, son bois sombre et sa finition lui ressemble, certainement fabriquée par le même artisan. Elle reste ouverte, sauf cuisine exceptionnellement enfumée ou conversation très privée dans la salle à manger… peu de chance cependant, car le privé se tient dans le bureau fermé ou dehors.
La porte de la boucherie est double, entièrement vitrée, fixe sur la partie gauche. La poignée est une plaque de métal grise en forme de o majuscule patte d’éph. Son poids, le bruit rebondissant de la fermeture automatique, la sonnette retentissant à chaque entrée, la marche de vingt-cinq centimètres pour pénétrer dans la boutique au carrelage mural blanc et orange, transparence sur horaires affichés. Et cette fermeture au ras du sol, obligeant à s’accroupir quatre fois par jour pour faire entrer la clé dans la petite serrure grise, serrure qui rouille si l’on n’y prend garde lors du lavage à grande eau du sol.
La porte du laboratoire est d’abord une lourde porte cochère en bois que l’on tire vers soi avec une clé ancienne à l’embout tordu. Après quoi, changement de clé, et si la poisse ne s’en mêle pas, ce qui est toujours possible au labo, une porte en verre avec béquille inox ouvre sur une vaste pièce carrelée du sol au plafond, aveugle, dans laquelle un lourd équipement en inox transforme les chairs-viscères-sang en pâtés-saucisses-crépinettes-boudins-andouillettes. Les transformations sont aussi multiples que les couteaux et grilles de hachage pénibles à nettoyer.
La porte du bunker est blindée, et avant d’actionner la large poignée, il faut introduire dans le cylindre Pollux en laiton une clé à cinq ailettes que l’on tournera trois fois. Bien entendu, on ne s’attend à rien moins que le trésor de Rackham Le Rouge, et c’est peu dire que les classeurs en cuir vert et brun laissent le visiteur du sous-sol absolument dubitatif.
La porte du garage a la peau crevassée du bois exposé sud. Érosion de la première moulure en haut des plinthes, identique sur les quatre vantaux, chacun avec son châssis fixe en verre cathédrale de cinquante centimètres de large sur trente de haut. Les ouvertures et fermetures quotidiennes nécessitent de se hisser sur la pointe des pieds, tirant et poussant péniblement les targettes hautes et basses qui maintiennent le grand corps déglingué. Si les clés des portes de devant ou derrière manquent, il suffit d’attraper sous la tuile, à côté de la meuleuse, la clé du verrou de la porte du garage. Entrer dans la maison par la porte du garage a une saveur particulière.
Codicille: en voilà 7, d'autres suivront. Elles sont gravées profondément, bien plus que les visages, les voix, ou les mots...
bravo, prem’s !