On prenait le cent vingt-six, en bas. Le voyage durait peut-être trente minutes, ce temps me semble aujourd’hui avec mon regard d’adulte réaliste, à cette époque-là, il devait durer plus d’une heure. On descendait du bus, on traversait le square, les arbres, les arbustes, le gazon, le vert. On traversait le pont au-dessus du périphérique, on tournait. Au soixante et un, on ouvrait une première haute porte, lourde, massive, en bois épais, elle était peinte d’un vert foncé, elle possédait une grosse poignée difficile à tourner, une poignée ronde en laiton, le panneau du haut recevait une vitre, protégé par un grillage, on ouvrait, on avançait de quelques mètres sur un gros tapis marron, rêche, puis on arrivait à une double porte couleur chêne clair, le vantail gauche était fixe, le droit permettait l’accès à l’intérieur de l’immeuble. Les deux vantaux avaient une découpe dans leur panneaux supérieur, celui qui est à hauteur d’homme, dans ces découpes était installé un vitrage, un vitrage composé de carreaux de verre coloré, rouge, vert, orange, jaune, bleu, le regard qui le traversait devinait plus qu’il ne voyait, le monde vu à travers ces vitraux magiques était une promesse de moments heureux.
Je ne sais pas pourquoi cette porte reste gravée dans ma mémoire, elle était peinte en rouge foncé, petite, mal taillée, elle n’avait même pas de poignée, elle était fermée par un crochet. Quand j’entrais, l’odeur de terre, me rassurait, les outils étaient là, à gauche le matériel de pêche, les cannes, les seaux, les boîtes à appâts, mais j’étais toujours un peu inquiet en entrant, les araignées aimaient aussi l’endroit, alors quand je prenais un objet, je me tendais, prêt à bondir ou à frapper, une fois l’objet désiré saisi, rapidement je refermais la porte et je remettais le crochet.
C’était une porte jaune, en métal, lourde et haute, de couleur jaune poussin, il y avait comme un décalage entre sa couleur et sa masse, comme un boxeur poids lourd peint en rose bonbon, à son pied il y avait un paillasson ordinaire, on tapait un code et en entrant on posait les pieds sur un lino bleu azur. La porte était aussi jaune de ce côté intérieur, et ce jaune poussin face à ce bleu azur, assurait chacun que l’on était dans un espace professionnel ou le choix des couleurs n’est pas une priorité.
J’ai l’impression de connaître la porte au crochet et surtout ce qu’il y a derrière. J’aimerais rencontré le boxeur poids lourd en rose bonbon 😉
merci
bien aimé ce long voyage en ville, la traversée du square jusqu’à la porte aux vitraux colorés…
et puis dis donc, pas facile à reproduire en peinture, le jaune poussin…
Nos industriels ont du talent, pourtant Matisse réussissait de jolies choses, avec du jaune et du bleu (voir nu bleu sur fond jaune).
… comme un périple déjà fait celui menant à ces vritraux magiques de la première porte ! et un rythme soutenu pour ces trois traversées…
merci