La porte de la petite cabane. On y accède par trois blocs de schistes irréguliers, polis par les ans, glissants par temps de pluie, mousse infiltrée dans le moindre interstice de la pierre fracturée par le gel. Les adultes se baissent pour la franchir. Composée de quatre panneaux verticaux en bois v peints en ocre, elle est scellée par deux charnières. Des madriers en chêne de chaque côté la soutiennent entre deux parties grillagées. On tient le loquet pour pénétrer dans un monde lumineux où les poussières jouent dans les rais du soleil se reflétant sur les outils de savetier de notre arrière-grand-père : gouges, tarières, cuillers accrochés sur la gauche au-dessus de sabots inachevés sur l’établi. Temps arrêté. On joue à la marchande dans la partie droite enveloppant des cailloux dans de vieux journaux. C’est notre cabane.
« Si vous êtes pas sages, vous y serez enfermés. » Sous la petite cabane, à gauche des marches, la porte de la cave à deux vantaux faits de planches verticales goudronnées semblables à celles de la grange en face, piquetées de gros clous à tête ronde comme dans les châteaux. Un des vantaux ferme à clé, carré de ferronnerie autour de la serrure. Noirceur à l’intérieur dès qu’on a tiré vers nous la poignée verticale en métal noir. Le bas de la porte s’effrite en raclant sur la pierre. Le temps que les yeux s’habituent, un trou grillagé dans le mur d’en face permet de distinguer le casier à bouteilles cerné de toiles d’araignées, les bocaux de tomates et de cornichons et d’être saisi par l’odeur du fromage de chèvre mêlé à la liqueur de cassis.
« Attention aux poules ! » C’est la seule porte d’entrée de la maison. Deux parties égales forment cette porte vitrée particulière. Le bas : une partie pleine en bois bleue ; le haut : derrière une grille en fer forgé, un verre cathédrale enchâssé dans un cadre bleu s’ouvrant indépendamment. Pratique l’été pour aérer sans que les poules pénètrent dans la cuisine. Installé aux beaux jours, le rideau souple en bouchons multicolores en plastique la double pour en interdire l’entrée aux mouches. Lever les lanières, s’entortiller dedans avant de sortir dans la cour. Quand on quitte la maison, on met la clef sous le pot de bégonias de la fenêtre la plus éloignée de la porte.
La poignée en porcelaine ovale de la taille d’un oeuf ouvre la porte en chêne de la chambre. Nous n’y allons que pour dormir. Dans la journée la porte fermée maintient la chaleur dans la salle à manger où flamboie le feu. Tourner dans sa main la poignée en porcelaine augure du froid qui nous happera dans la chambre aux pavés de grès rouge où perlent de minuscules gouttes.
On franchit la porte du garage après avoir passé la barrière aux croisillons en pin sylvestre rouges. Espace cimenté en pente entre les deux, notre mère y garera son Aronde. Deux murets en ciment de chaque côté, troués symétriquement par quatre marches pour rattraper le niveau du jardin. On l’appelle aussi porte du sous-sol, porte accordéon, composée de quatre panneaux, articulés en bois verni doré, vitrés dans le tiers du haut. Solide, elle résiste aux ballons non arrêtés par le gardien de but. Ouvrir un seul panneau suffit pour entrer ; toujours en la refermant, elle claque car il faut la pousser très fort, chargé de son cartable. On est happé par l’odeur de linge bouilli ou d’ammoniaque si notre mère a coiffé une cliente. L’hiver, avant d’entrer, il y en a un qui tend le bras pour appuyer sur l’interrupteur gris dans son boitier plastique à droite sur le mur.
En haut de l’escalier en ciment, peint en grenat, qui va du sous-sol au premier étage, il faut la passer, cette porte en bois plein qui débouche sur le vestibule. Ouvrir cette porte dont la poignée parait haute pour notre taille est périlleux. Est-ce parce qu’on est en contre-bas, ou parce qu’on ne peut s’accrocher à la poignée en bec de cane que d’une main à cause du cartable ou des courses ? Pousser de toutes ses forces pour ne pas être déséquilibré en arrière. Ouf ! Les chaussons touchent le carrelage ; accueilli par l’odeur du pot au feu ou de la soupe, on donne un violent coup d’épaule pour la refermer derrière nous.
Il faut contourner la chaumière pour y parvenir. Au milieu du pignon, elle est surmontée d’une porte-fenêtre donnant sur un grenier où l’on engrangeait les provisions pour l’hiver. Autrefois, celle-ci devait être en bois plein, comme d’ailleurs cette porte d’entrée composée aujourd’hui de dix petits carreaux dont deux en verre de couleur rouge et jaune. Effet vitrail qui l’avait séduite. Demeure en bas de la porte une partie pleine en chêne, assortie aux colombages des murs. La poignée sur la droite encastrée dans une ferrure ciselée à fleur à ses deux extrémités lui ouvre la porte d’un monde rêvé avec poutres apparentes, tomettes et feu de cheminée.
Légèrement en retrait, on pourrait ne pas la voir. Porte monumentale à deux lourds vantaux en bois massif, chacun divisé en trois parties, moulures agrémentées de parements. Encadrée de pierres de taille blanches de cet immeuble haussmannien, elle détonne à deux pas des vitrines clinquantes de robes de mariées, de téléphones portables, de tissus exotiques, de parures de bijoux orientales. Avant d’y arriver, sortir son téléphone ou son carnet d’adresses afin de taper le code sur le boitier du côté droit. Pousser très fort le vantail dès qu’on entend le clic. Si on n’est pas assez rapide, recommencer l’opération. Enfin, on pénètre ; bruit sourd de la porte qui se referme, isolant du brouhaha de la rue. Haut plafond à moulures dans la vaste entrée vert céladon. Sur la droite, la loge vitrée de la concierge derrière son rideau. S’avancer sur plusieurs mètres dans cet univers ouaté pour parvenir à une autre porte style Art Déco, autre code à taper, autre frontière à franchir.