Ne pas fusionner avec toi mais me rapprocher de toi, te toucher, te caresser, te humer, te respecter. Reconnaître ta singularité, mieux percevoir la mienne confrontée à la tienne. Au pied de l’escalier qui part du jardin et atteint le premier étage de la maison, tu veilles en gardien bienveillant du lieu. Tu es grand, majestueux en toutes saisons, ton tronc est large. Au printemps ta ramure constituée de branches, rameaux et feuillage lui-même composé de feuilles en forme de cœur légèrement asymétriques, te transforment en arbre amoureux. Ta cime arrondie termine ton houppier ample et dense — l’ensemble peut faire penser à la chevelure d’un géant des forêts. Au sol de grosses racines dessinent des monticules en réseau, qui se dirigent vers la maison et la soulèveront peut-être un jour. Quand nous serons séparés nous inventerons la manière de nous atteindre, fils invisibles lancés l’un vers l’autre, emportés par les vents, s’accrochant, entourant le tronc puis s’élançant vers les branches, qui s’abaisseront imperceptiblement pour se rendre plus accessibles, entourant ma taille au même moment. Un vent de folie s’emparera de nous, nous tremblerons, frémirons, un son singulier et à peine perceptible nous entourera, tes rameaux s’élèveront alors vers le ciel un peu plus haut et latéralement, tes feuilles délivreront leur tendresse, ton ombre réconfortera et apaisera. Essence de lumière, tes fleurs ouvertes pour quelques jours embaumeront de notes subtiles et miellées, un état de paradis sur terre se déploiera. Tenter de revenir vers toi, tout de suite, voilà je suis là. Mon corps n’a pas bougé de place, mais mon esprit est bien présent et tellement plus fort. Mon regard second surgit, nous nous regardons, nous nous lisons, nous nous nourrissons l’un de l’autre, je ne sais quel est ton âge, beaucoup plus avancé que le mien et qui perdurera beaucoup plus longtemps, mais ma curiosité ne me conduira jamais à trancher ton tronc, ta colonne vertébrale, la ligne droite que tu as installée entre la terre et le ciel, pour découvrir les nombreux cercles concentriques qui révèlent ta longévité ; deviner le nombre à son diamètre, désirer caresser l’écorce, désirer être enlacée dans tes branches, superposer mes bras et mes jambes en des poses risquées, acrobatiques, doigts serrés sur tes rameaux, cheveux au vent qui s’agrippent au feuillage, s’enivrer de ton suave parfum avec les insectes butineurs, frôler les oiseaux joueurs, écouter leur chant, percevoir des bruits de phrases bien construites ou de mots juxtaposés qui circulent et ensorcellent. Le sol lui-même est très reconnaissant, car tu l’améliores, le nourris grâce à la bonne décomposition à l’automne de tes feuilles riches en éléments minéraux. Alors ne plus bouger, respirer, mourir peut-être.