Je l’ai découvert par hasard, un soir d’été, de retour de Normandie, dans une pâture en bordure de route. Moult oripeaux de pièces multicolores habillaient sa silhouette chenue ornées de branches griffues et décharnées. M’approchant de cet ensemble disparate, je vis au pied de cet arbre, un dépôt hétéroclite de loques, bottes, bonnets et gants. Il me vint à l’idée d’une décharge sauvage, d’invendus de friperies, de solderies de greniers, voire une installation d’art contemporain in situ. A proximité, un édicule abritant un saint derrière une grille, à qui on a décerné des ex voto, le remerciant pour ses miracles de guérison. J’appris que cet arbre enrubanné, un orme multi-séculaire, appelé « arbre à loques » par les riverains, soignait les malades depuis le quinzième siècle. Il aurait dit-on stoppé net une épidémie de Peste Noire dans la région. Nul n’est capable d’expliquer rationnellement cet arrêt soudain. Moi non plus je ne sais pas et je ne peux que me perdre en conjectures. Beaucoup y ont vu un signe divin même encore aujourd’hui. On me dit que pour guérir, il suffit d’accrocher aux branches, un objet ou un vêtement ayant appartenu ou touché par le malade. Et ça marcherait encore de nos jours. Je ne sais quel crédit accorder à cette histoire venue de temps immémoriaux, où se disputaient obscurantisme paien et rites chrétiens surannés. Je sais au fond de moi que la médecine, en dépit des ses avancées, ne peut soigner toutes les maladies, et je préfère encore le Doliprane à une décoction d’herbes pour me faire passer un mal de crâne. Pourtant, cet arbre, en dépit de mon scepticisme, me renvoie à mon ambiguité. Je n’aime peut-être pas les herbes prétendûment médicinales mais j’adore le thé, infusion de feuilles séchées aux vertus curatives avérées. Puisque c’est la science qui le dit, je suis prêt à croire toutes les validations scientifiques des « recettes » de grand-mère. Finalement je ne suis peut-être pas si différent de nos aieux qui accordaient probablement du crédit à des chamanes auto-proclamés et autres prédicateurs en robe de bure. Aujourd’hui la foi scientifique a supplanté ces croyances d’un autre temps. J’y crois dur comme fer même si je sais que la science peut se tromper et qu’elle n’est pas à l’abri de controverses. J’ai alors pensé à nos anciens, qui avaient une connaissance étendue de la nature en sachant empiriquement ce qui « marchait » ou pas. Cet arbre ne m’aura pas soigné d’un mal physique mais il a peut-être mis à jour des préjugés et même pointer un possible « obscurantisme moderne » à l’égard de savoirs ancestraux. Juste diagnostic de ce qui peut apparaître excessif en moi. « S’appliquer à garder en toute chose le juste milieu » a dit Confucius. Sage maxime, toujours d’actualité. Cet arbre m’a remémoré une autre citation attribuée à Pasteur : « un peu de foi éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène ». L’une ne va pas sans l’autre et toujours avec modération. Belle leçon d’humilité. J’en arrive à me demander si nos ancêtres n’étaient pas plus sensés que l’homme du 21ème siècle.
Aujourd’hui cet arbre n’est plus, incendié par « d’obscurs » fanatiques contemporains sans doute courroucés par ces rites d’un autre temps. Mais la relève est assurée par de vigoureux arbrisseaux, déjà recouverts de masques anti-covid, puérils remparts contre une pandémie qui n’a aucunement épargné cette région normande.