Il est un grand marronnier séparant deux propriétés, à la jonction de deux terrains, et principalement du côté des voisins arrivés en second. Il est penché et borde une longue allée. Ce marronnier est immense, il faut l’élaguer, jamais d’accord sur qui doit payer, les premiers qui profitent de sa large ramure où les seconds qui accueillent son tronc, sans parler des racines qui vont bien au delà des limites fixées sur le plan. C’est compliqué, quand ils en parlent, les adultes sont tout froncés et personne ne semble avoir raison, mais c’est la guerre et on ne sait jamais ce qui se dit chez les premiers sur les seconds et surtout, qui va gagner?
« Aujourd’hui les enfants nous allons étudier le marronnier d’Inde. » La maîtresse porte un beau chemisier et ouvre un grand imagier illustré. Elle découvre que le marronnier d’Inde ne vient pas d’Inde mais de Grèce, et qu’il est héliophile. De nouveau la voix de la maîtresse énonce « héliophile, ça veut dire qu’il a besoin de beaucoup de lumière et qu’il s’en nourrit. » Elle a vu ce matin que le marronnier dans son aller était déjà tout brun, la voix de la maitresse bourdonne et elle est déjà loin. Leur marronnier, dès la rentrée il brunit et il est souvent le premier à perdre ses feuilles dans l’allée, parfois bien avant la rentrée. Les marrons qui en tombent, elle aime les ramasser et les fourrer dans ses poches, dans son cartable, puis les stocker et les oublier. Parfois et c’est jour de chance elle en trouve un qui brille, tout neuf encore dans son écorce, pas abimé. Elle aime aussi en trouver deux très collés qui n’en forme qu’un et qu’on peut décoller et recoller à volonté. Elle n’aime pas trop en trouver un éclaté, avec sa chair blanche toute émiettée, un pneu à la va-vite qui l’aurait écrasé. « Le marron est le fruit du marronnier d’Inde, il ressemble à une châtaigne mais n’est pas comestible, ce n’est pas un fruit qu’on mange les enfants. » Elle a gouté un jour, elle n’a pas résisté, maintenant elle sait qu’il ne faut pas les manger. La maîtresse continue à leur raconter « Les feuilles des marronniers ont sept folioles » et leur montre la belle image qu’ils doivent regarder. Elle se dit comme des grandes mains à sept doigts, c’est pour ça qu’elle se sent protégée par son grand marronnier, des milliers de doigts au dessus de la tête lorsqu’elle s’avance petite dans l’allée. Souvent sur son passage, elle les voit s’envoler. elle aimerait dire à la maîtresse que c’est un jeu chez eux de ramasser les feuilles tombées de leur gros marronnier, c’est une demande des parents, on n’a pas trop le choix mais bon avec sa sœur elles imaginent faire le plus gros tas possible, et quand on leur dira que ça suffira pour aujourd’hui, mais que ce n’est jamais fini, elles pourront courir, sauter dedans et rigoler ! Mais déjà la maîtresse a continué de parler, « le marronnier d’Inde est souvent en manque de lumière dans nos régions, et lorsque les étés sont secs, ses feuilles roussissent à la fin de l’été, et ne prennent pas les belles couleurs de l’automne. » Elle les a vu ses feuilles comme fanées, d’un brun sale, qui recouvrent le sol de leur allée, et quand il pleut, ça devient un sol boueux. Elle imagine son marronnier et le pays où ses ancêtres sont nés… elle voudrait demander « elle est comment la lumière en Grèce qu’il n’a pas pu emporter ? » Mais déjà elle entend la maîtresse annoncer qu’ils parleront des racines une prochaine fois et que la leçon est à apprendre pour demain.
Elle a rêvé de son marronnier, celui qui perdait ses feuilles à chaque été, annonçait l’automne et ses longues soirées, il était comme dans son souvenir, grand et penché, ses feuilles étaient presque toutes tombées. Dans son rêve elle voyait quelqu’un remonter l’allée, et frôler son tronc strié, c’était une femme et elle la voyait d’un pas lent s’avancer sans se retourner. Elle marchait dans ses pas, un peu pressée, frôlait le marronnier puis tout à coup ne pouvait plus bouger, et pourtant continuait à hésiter entre rester là ou lui courir après. Puis elle repartait, passait à nouveau à côté de l’arbre, caressait son tronc rugueux et l’enlaçait.
Quelque part, un arbre à l’âme sensible, en manque de lumière dans nos contrées, fait tournoyer ses feuilles à l’annonce de la rentrée; il arrive souvent qu’un vent doux berce ses branches légères et transporte son chant jusqu’aux oreilles des enfants, qui dans leur grande attention, entendent une voix les autoriser « ce marron est le tien, prends-le ».
codicille : je pense avoir un peu débordé des consignes… à l’écoute de la vidéo j’ai pensé au marronnier, ont resurgi des images que j’ai voulu intégrer dans une histoire à plusieurs voix autour de l’arbre choisi, j’ai tenté le coup, ça part un peu dans tous les sens…
Comme un air de rentrée à l’ombre du marronnier – Merci.
Et ça sent bon l’automne ton texte.
Merci pour ta lecture ! En écrivant j’ai eu l’impression de faire des allers retours entre souvenirs et présent avec l’automne qui arrive, je suis contente qu’il en ressorte une sensation partagée.
Toute mon enfance, à la fenêtre, un marronnier à portée de main. Et les bogues qui ponctuaient notre chemin d’écolier. Merci pour cette madeleine.
Moi je trouve au contraire que tu as saisi la consigne ! Ils sont ancrés dans le corps ces arbres !