« Je n’ai pas de mots », disent les arbres. Je n’ose pas les contredire. (Luc Baba)
Les arbres échangent des oiseaux comme des paroles. (Saint-Pol-Roux)
22.11.2021, Sainte Cécile, tout bois fait racine, il jette quelques mots sur une feuille de papier-terreau. Attendre et voir comment ça pousse. Semaine de l’arbre, distribution gratuite d’aulnes, à planter aux bords des cours d’eaux pour stabiliser les berges en cas de nouvelles inondations. (On vient de retrouver le corps du dernier disparu de juillet parmi des branchages et des déchets sur une rive de l’Ourthe, rue de Tilff à Angleur ; son identité pourrait être confirmée, quatre mois après sa mort, grâce à l’ADN de ses cheveux.) (Un habitant d’Esneux croit avoir trouvé les responsables des inondations : ce sont les castors et leurs barrages qui, cédant sous la pression des eaux, ont provoqué les tsunamis meurtriers et pour faire passer son message il a cloué un castor mort sur un panneau lui-même cloué sur un bouleau au bord de l’eau. Le corps du castor mort a été envoyé à l’Institut Vétérinaire de l’Université de Liège pour autopsie.)
L’échevin municipal de la transition écologique, monsieur Foret, ça ne s’invente pas, a profité de cette journée spéciale pour présenter le plan canopée de la Ville, 24.000 arbres supplémentaires à l’horizon 2030, répartis entre espaces publics et jardins privés. On est sauvé.
Il se souvient et liste quelques arbres pour lui remarquables : le Frêne-Écran du Laveu, le Sureau du Talus, le Tilleul du Voisin, le Gros Fawe vers la Roche-aux-Faucons, l’Arbre-à-Loques de Haute-Wez, le Robinier Faux Acacia de la Belle Liégeoise, le Chêne de Marlène Poisson, l’Aulne de Bende-Jenneret, le Hêtre des Dix Heures, le Ginkgo Biloba de Peralta, les vertus qu’on leur prête et celles qu’ils nous donnent, sont-ils tous toujours en vie ? Est-il possible de se mettre dans leur peau ? Celle des cerneaux de noix donne une idée du goût de leur bois tout comme le dernier pépin de raisin écrasé entre deux molaires. Par ailleurs, et ça n’a rien à voir, quoique, il faudra se méfier du diagnostic de l’expert psychiatrique qui ne pourrait pas distinguer un frêne d’un robinier.
Retour au Parc pour raconter une histoire. Enfin diront certains. Comme chaque semaine depuis des années, Madame Petitpas et son Jack Russel arrivent à pas menus près des quatre platanes situés entre le musée des Beaux-Arts et la plaine des Beaux-Jeux. Ils ont été plantés en carré, il y a une bonne centaine d’années, à plus ou moins cinq mètres l’un de l’autre. Drôle de dendrolâtrie : elle sort le couteau de cuisine de son sac, un petit couteau pour sa petite main. Eh oui, Jack, c’est comme ça… Son petit chien la regarde, il sait déjà ce qu’elle va faire. Et en effet elle se dirige vers la Pensée, le platane Nord. On n’y peut rien, Jack, c’est ainsi…Elle commence à éplucher le tronc, elle épluche, sans vergogne ni remords, elle épluche, accélérant la chute des morceaux d’écorce légèrement décollés du tronc, réduisant au passage en copeaux-lambeaux les serments éternels d’amoureux naïfs. Et Russel de rester sagement assis au pied de la Sensation, complètement à l’ouest, maître de sa laisse couchée à côté de lui. Puis elle va vers l’Intuition, à l’est, et elle l’épluche de la même façon, ainsi de suite, dans le sens des aiguilles d’une montre, avec le platane du Sentiment puis celui de la Sensation. Qu’est-ce qu’elle entretenait, au-delà de la mémoire d’un ancien professeur d’histoire de l’art féru de théories junguiennes ? Une sorte de quaternio, un double axe, Pensée-Sentiment et Sensation-Intuition, une recherche d’équilibre entre ces quatre fonctions affiné par l’extraversion des branches et l’introversion des racines. Les parangons de cet art de la Communion partant de la Sensation, par le biais de l’Intuition, en équilibrant Pensée et Sentiment, étaient pour lui le Monet des Nymphéas, le Cézanne d’après la Couillarde, le Matisse de presque toujours, le berger Brancusi, le Morandi de chez ses sœurs et, du bout des lèvres, Sonia Delaunay. Parfois elle doute… Pensée magique, Sentiment mitigé, Sensation trompeuse, Intuition fallacieuse ; on y va, Jack, on y va ! Russel prend sa laisse en gueule et remue la queue.
Est-ce son travail qui a favorisé la création d’une ligne devenant sentier devenant chemin de désir passant au beau milieu de cette chapelle païenne sans autel, sans murs, ses quatre piliers blanchis par les épluchages successifs offrant à tous les vents le bouquet de leurs frondaisons et à tous les piétons, qui sait, une microseconde d’inflation du Soi ?
Les boues déposées dans les creux par les inondations de l’été séchant se transformant en poussières presque sable brun à la suite des passages répétés des cyclistes et des marcheurs, tandis qu’à deux cents mètres de là le parking sous-terrain du Palais des Congrès, toujours inutilisé, infréquenté, était devenu, au niveau du sol, une sorte de Sahel sombre de bord de Meuse.
Bonsoir Jean-Marie, vraiment joli le passage des arbres, des artistes à celui du chemin de désir et de la chapelle paienne sans murs….A bientot:)
Merci vraiment pour la lecture et ce commentaire, bonne soirée