Elle était volumineuse et ferme, roc tendre, solide et accueillant. Elle n’était pas humble, ce mot ne figurait ni à son vocabulaire, ni dans sa pensée, sa nature, elle était simple et fine. Elle ne cherchait pas à améliorer sa vie, son sort, elle l’acceptait, l’endossait. Elle l’embellissait des petites gentillesses qu’elle prodiguait et de ce qu’elle recevait parfois, souvent, en retour, la confiance, presque la familiarité des adultes, avec la distance qui leur était mutuellement nécessaire, l’amour que lui vouaient les enfants avec un mélange de fougue et de respect devant sa présence imposante. Quand sa camarade, dont c’était le rôle, lui laissait le soin et le plaisir de cuisiner, l’appartement embaumait la garrigue et du four sortaient des courgettes sublimées, des sardines ouvertes sur un mélange ancestral et goûteux, des tomates qui n’étaient plus que pommade savoureuse. Elle faisait rire l’ado qui noyait son vague à l’âme dans une boulimie de tartines de gros pain et de moutarde en lui conseillant de faire attention parce que, elle, quand elle se jetait sur son lit avec l’enthousiasme de ce repos qui l’attendait, son pauvre petit mari était projeté vers le plafond. Elle était belle et bonne comme la campagne du nord de l’Italie d’où elle était venue jeunette.
Il avait la dignité de son état, de son temps, une apparence presque austère que ne contredisaient pas son attention silencieuse aux autres, aux femmes, aux jeunes hommes qu’il jugeait dignes d’une protection discrète, ni la tendresse, mêlée d’une considération qui les ennoblissait, pour ses petits enfants. L’âge venu, alors que la vie active l’avait abandonné, hors quelques obligations honorifiques, il avait gardé en lui le très jeune officier saharien, le capitaine des tranchées, l’attaché d’ambassades qui couvrait d’une petite moustache sage ces dents jetées en avant qui le distinguait, celui qui avait charmé la jeune fille de dix-huit ans avec lequel il avait constitué un attelage mutuellement respectueux, le général en chef d’une guerre en train de se perdre, l’homme de belle culture et de bonnes amitiés, le membre, un temps, jusqu’à ce que s’impose à un reste de naïveté qu’il s’était découvert la conscience de la compromission que cela représentait avec des organisateurs qu’il réprouvait, à une organisation pacifique. De toutes ces facettes s’était constitué ce patriarche dont on respectait la réserve, ce dispensateur de bonne vie, bons vins, friandises pour les autres.
Il était ce grand corps à chevelure éclatante, épaules larges, cette présence tonitruante à la délicatesse de buldozer qui faisait fuir la bande de jeunes, d’adolescents suivis comme le pouvaient par les petites jambes des bambins, ce veuf inconsolable qui s’étant jugé incapable de trouver en lui de quoi remplacer la tendresse maternelle avait opté pour une brutalité peut-être désespérée et l’ami plein d’inventions, de fantaisie, de goût de la vie de la bande adulte. Le totem que tous considéraient avec un mélange d’effroi et de joyeuse fraternité, un peu en dehors mais indispensable à cette micro-société qui s’était constituée ces années là autour d’un port en construction, d’une base aéronovale, de quelques bateaux.
photo © Brigitte Célérier d’une oeuvre d’Alexandra Giacobazzi
Toujours un plaisir de découvrir des portraits,
Toujours cela donne envie de les rencontrer, de les voir en vrai, ou de continuer ainsi à se les imaginer avec vos mots et vos images. Merci Brigitte.
Et j’aime beaucoup le dessin, la peinture ? Très joli, émouvant.
merci ! le dessin (juste la moitié parce qu’à droite il y a un message manuscrit) un cadeau pour mes 70 ans d’une de mes nièces, peintre, pour me souhaiter les rondeurs sereines et confortables de l’âge
Vos portraits toujours impressionnants de tant de force en si peu de mots et votre capacité à les planter d’emblée avec presque juste les deux premières phrases d’entrée ! J’adore.