Etienne franchit chaque jour le portail de l’usine trente minutes avant l’heure d’embauche. Tôt le matin, sa femme Henriette le presse de débarrasser le plancher. Le temps d’aérer la chambre, de replier le canapé, d’installer les lits pliants et les parents des enfants sonneront à la porte, lui tendront un bébé en pyjama, mains agrippées à un biberon tiède. Dans l’atelier, Etienne savoure l’instant. Il s’assied sur son tabouret de bois et pose sur l’établi le journal du jour. Il commence par lire la dernière page et remonte jusqu’à la une. Puis il s’attaque aux mots croisés. Dix minutes avant l’heure, il s’étire, marche jusqu’aux vestiaires, ouvre le cadenas de son placard et enfile la blouse grise. L’atelier se remplit. A chaque poignée de mains « salut Etienne, les nouvelles sont bonnes ? » il répond inlassablement « en tous cas, elles sont fraîches ! ». Au coup de sirène, il replie le journal et branche le fer à souder.
Agnès aimait discuter avec les gens du quartier, boire un café avec une voisine, prendre des nouvelles du fils de l’épicier. Mais elle n’a plus le temps. Elle sort peu de chez elle et dès qu’elle est dehors, elle court. Toujours trop pressée pour s’arrêter. Si quelqu’un lui lance un « bonjour », elle resserre un peu plus les épaules, baisse le menton et dans un sourire gêné souffle « oh, bonjour, je suis en retard ». Quand les jumelles ont quitté la maison, elle a voulu reprendre le travail d’experte comptable qu’elle avait exercé dans un grand groupe avant la naissance des filles. Les recruteurs, les conseillers de Pôle Emploi lui ont lancé des sourires navrés. Nouvelles normes, outils complexes, trop de seniors sur le marché. Son mari lui a demandé d’abandonner, il touchera bientôt une retraite confortable. Mais elle passe ses jours et une partie de ses nuits devant l’ordinateur, consulte les offres d’emploi, répond à des annonces de plus en plus éloignées de ses compétences. Quand elle décroche un rendez-vous, elle hésite, panique, renonce et soudain se décide, se jette dans un bus, court sur les trottoirs, revient fourbue, « ça n’a pas marché mais j’ai bien fait d’essayer ».
En vous lisant je pense à Aki Shimazaki. Son écriture est descriptive sans surplus avec pas mal de dialogues. J’aurais aimé lire plus de portraits. Belle journée
Merci J Hendrycks pour votre retour. Je ne connais pas Aki Shimazaki, je vais découvrir…