Tout n’est rien.
sur une place un dimanche soir d’hiver, des marrons chauds dans un cornet de papier journal, la chaleur au bout des doigts
le long couloir sombre au bas de l’immeuble de trois étages, le cœur qui bat trop vite, les escaliers montés quatre à quatre
sous la table, Le club des cinq entre les mains, la vie tout autour bien réelle, se sentir en sécurité
jupe blanche courte, chemisier rouge, arpenter les rues de la ville, savourer une première sortie en solitaire
face aux autres, les regarder, soupeser l’épreuve, abandonner les feuilles de l’exposé sur le bureau et sortir de la classe
se tenir face à, comprendre que nous sommes au théâtre, et jouer sa partition
il y a quelque chose d’un cloître dans ce jardin d’enfance où l’on n’en finit pas de tourner, de laisser ses pensées vagabonder
comprendre, aux battements de son cœur, que plus rien ne sera jamais comme avant, qu’il n’y a pas de retour possible
des tendresses à donner, recevoir, des bonheurs qui ne se disent pas, mais qui se donnent
des tonnes de linge à laver, à repasser, à ranger, des bouches à nourrir, des chagrins à consoler, et plein d’ histoires à raconter
se sentir au bord en permanence, de la fuite, du geste de trop, du meurtre, de l’abandon, de l’épuisement
aspirer, respirer le moindre filet d’air d’où qu’il vienne, où qu’il aille, se contenter de peu
il y a quelque chose qui apaise la main qui caresse l’écorce en un geste rituel, – qui bénit qui – une sorte d’échange entre peaux blessées
Qu’est-ce qu’une vie sinon ce tangage permanent entre des rives d’ombres et de lumières, ces fatigues qui aspirent et ces moments de joie qu’on ne sait pas toujours reconnaître.
s’immiscer dans les mots, lire, lire, lire et ne faire que ça
près d’une rivière, cadrer ce qui se noie, un reflet, une lumière, un songe, ne plus voir que ce qui se donne
là, dans une ruelle de Venise, la main posée sur un crépi qui s’écaille, sentir les battements de la vie
dans une église, les voix montent et s’approchent, un torrent de voix prend tout le corps entre les sons qui s’élèvent, un Magnificat est chanté
il y a quelque chose de la louange sur ce chemin qui se dirige vers un rocher de granit, pas n’importe lequel, celui de l’enfance, celui des rêveries
hantée par le vent qui traverse, la vue dans toutes les directions, l’immensité du ciel et de la terre enlacées sur le mont Lozère
le cri du ventre sorti, et se dire elle ne sera plus jamais là
la main sur une pierre, un caillou, de la terre, la tête qui s’apaise
le regard d’un tout petit enfant, son sourire, son rire, sa main dans la sienne, manina bella qui se murmure, de grand-mère à grand-mère la boucle va se boucler
se reconnaître dans un tableau Femme dans le soleil du matin, en savourer la paix
le regard flou posé sur ce qui s’évapore, les souvenirs, les êtres, les lieux, les objets, l’horizon, les bouts de pas grand-chose
il y a quelque chose de l’Eden sur cette toute petite berge au bord de la rivière, presque sous le pont aux deux arches, emplie des silences des uns et des songes des autres
Et savoir depuis toujours que tout n’est rien, même si, pendant tant d’années, on a voulu croire autre chose, voulu soulever le rideau de l’invisible, rêver à ce souffle qui traverse les siècles, entendu des voix venues d’on ne sait où, cartographié des ombres. Mais désormais, les cheveux bien blancs, on sait.
des mots que l’on voudrait avoir su trouver pour ce que l’on trouve familier ou presque