Je me demande pourquoi mes amis m’ont dit, c’est bien ce que tu fais.
A l’entrée du garage, une Peugeot 203 couverte de poussière, le toit percé à deux endroits par la rouille, garniture des portières rongée par la vermine. Repenser aux rares confidences du vieil oncle Marcel. « C’est dans cette voiture que j’ai rencontré Suzanne, elle était si belle ! ».
Début d’inventaire du garage.
34 magazines Géo rongés par les souris, 21 lampes halogènes, 103 piles usagées, 200 magazines Auto, 254 capuchons de stylos Bic (plus de rouges et de bleus que de verts et de noirs, mystère !), des livres (pas comptés) plus ou moins moisis, certains probablement jamais lus. Autopsie d’un désordre ? Incapacité à jeter? Superstition ? Vestiges dérisoires d’une vie.
Je me demande si Marcel et Suzanne auraient aimé que je fouille dans tout ça.
Contre le mur les deux bancs de granit autrefois dans le petit jardin. Pourquoi les avoir descellés ? Au nom de quel secret ? Ou de quelle promesse ? Sur l’étagère, une des seules encore en place, un sac de sport, dézipper la fermeture éclair, ouvrir le sac, odeurs de cendre et de tabac froid, un petit carnet à spirales vert bouteille, juste une feuille avec une phrase « Ne pleure pas », une pochette bleue ayant contenu des photos d’identité, la pochette est vide, simplement la mention, Studio Rameau, Étampes, trois trousseaux de clés toutes identiques, un bas de jogging, un bonnet de laine noir, dans le bonnet une paire de jumelles en bon état, sérieuses, lourdes, ayant appartenu à un marin ou à un soldat ?
Dans une caisse, des albums photos, des visages qu’on n’a pas connus, des lieux qui ne disent rien, des scènes indéchiffrables à force d’être banales et une boîte recouverte de vieux cuir desséché, à l’intérieur un mouchoir de femme replié sur des larmes peut-être, dessous des enveloppes vides, toutes adressées au même homme, le tampon de la Poste, Orléanville, Algérie, janvier et février 1962, l’année où la guerre finissait. Pourquoi avoir conservé les enveloppes uniquement ? Et les lettres? Elles sont où les lettres?
Une boîte remplie de boutons, une poupée en porcelaine démembrée, des moulins à café, des pots à sel, un vrai musée de l’inutile, kitsch assuré. Et au fond de la caisse dans une autre boîte, soigneusement emballé, un costume marin pour garçonnet, taille 4 ou 5 ans, une étiquette épinglée sur le dessus, « Jean-Pierre ».
Au fond du garage, un canapé 3 places, velours rêche, rouge, dans un état de déliquescence avancé, trame usée des accoudoirs, franges déchirées, motifs floraux dorés, à côté posé en équilibre, un fauteuil en skaï vert, déchiré sur l’assise, celui de Suzanne probablement, un haut panier en jonc tressé verdâtre passablement avachi, à l’intérieur un marteau, des tournevis, une rallonge et une guirlande électrique hors d’usage.
Un stock de bûches, du châtaignier.
Je me demande si tous ces moments de vie peuvent se revivre encore, je me demande parfois…
Bravo, hâte de lire l’histoire de Marcel & Suzanne.
… ce mot d »‘autopsie d’un désordre » et la question posée à propos de l’oncle Marcel et Suzanne – comme le fin fond de tout çà !