Une quinzaine de cartons dans le garage. Le reste, dans le jardin. Le lit démonté. Des planches de bois. Dans les cartons, la vie triée. Les cartons pour la cuisine. Vaisselle, bouilloire, couverts, des pots de verre vides, pour contenir demain : haricots rouge, avoine, farine, lentilles corail, lentilles vertes, sucre. Une dizaine de pots d’épices. Des cartons plutôt sur le haut. Ils portent la mention : « fragile ». Et puis des cartons pour la chambre. Les chapeaux et les gants. Les draps, oreillers et couettes. Le carton des vêtements que l’on ne porte jamais. Ce carton identique, jamais ouvert qui suit chaque déménagement : la veste de ski, le pantalon de ski, la doudoune grise, la vieille veste noire élimée, après tout elle a été portée une fois, il y a trois ans. Le carton de la cave : les outils, l’électronique. Le carton du salon : les livres. Le carton de nulle part, annexe du cerveau : les cours de mathématique, de géographie, d’histoire, d’allemand, d’anglais, d’espagnol, de sociologie, d’économie, de droit, de finances, de lettres, de philosophie, de cartographie. Les cours de cartographie. Empaquetés, scotchés. Dans le noir, luisent les mots cuesta, plateaux, talweg, vallée en u, adret, ubac, assolement, topographie, souvenirs de cartes, de marécages, de zones inondables, de courbes de niveau, de pieds qui glissent et chutent dans les ravins lors que le doigt lui glisse simplement sur la carte en rêvassant comme seuls les doigts savent le faire tactile, suave et taquin. Le carton d’ailleurs : quelques restes d’amants, rognures d’ongle, ossements, cheveux, parfois des dents aussi, d’absurdes cadeaux soigneusement classés après clôture de l’idylle, fleurs séchées, flacons de parfums, une lettre manuscrite. Et pour ouvrir, éventrer, remettre à jour toute cette vie endormie, une paire de ciseaux… Que l’on a dû laisser quelque part… Mais… dans quel carton ?