Elle a passé la frontière. Elle fume. Elle a séduit l’officier. Elle n’a pas ricané. Elle a eu l’aplomb. Elle a toujours : l’aplomb. Elle a une longue natte qui tombe aussi, comme du plomb. Dans la tête aussi elle a du plomb : des idées, des concepts. Et dans l’aile parfois. Ce jour-là, elle a du plomb : dans l’aile. Elle n’a pas assez de pitié. Elle s’étend et elle pense. Elle frotte son corps et ses idées à d’autres corps, parfois pansus, parfois pensants. Elle vit : sans pansement. Elle a des robes, en dessous du genou. Elle a le mollet rond. Elle traverse la frontière. Elle est dans l’autre langue, elle danse et se balance : sur la frontière. Elle a au milieu du corps, la trace coupante d’un fil coupant comme du fil à beurre. Elle a passé la frontière et il y a l’enfant pendu à sa main droite et l’enfant, pendu à sa main gauche, il y a l’époux, quelque part au front. Elle a passé la frontière. Elle est face aux montagnes, il y a la Suisse et de l’autre côté derrière, il y a les forêts, des montagnes aussi et des usines et puis après, la Hongrie. Devant aussi il y a, des usines qui ruinent les mains. Elle a passé la frontière. Elle est agrégée. Elle a passé la frontière. Il y a le corps blanc, fluide, fragile. Elle a passé la frontière et il y a le corps perclus, les mains râpeuses et le temps qui s’écoule et la fin de la journée le temps, là, comme une bouillie flasque et son corps qui flotte. Elle a passé la frontière. Vers Londres. Elle veut passer la frontière. Vers le front. Elle est morte. Mais elle : elle passe la frontière. Derrière il y a : les baraquements. Devant, il y a la ville, un drôle d’hôtel, le corps gracile dans la suite de luxe. Elle n’aurait pas cru pourtant, dans ce laboratoire dans cette petite maison minuscule, elle a passé la frontière, c’est que l’atome vous savez, l’atome n’est pas ce que vous croyez, elle a passé la frontière et les rayons aussi, la frontière de sa peau, et celle de ses cellules, ils ont passé la frontière. Elle tourne autour de la frontière et elle clignote. Elle se dote d’un nouveau visage. C’est qu’elle, elle est déjà dans l’autre langue. Alors : elle passe la frontière.
Je vois son visage se transformer , se durcir, et se camoufler pour pleurer au fur et à mesure sans la connaître. Elle est figure du courage délirant. Elle est fiction ou idéal d’autodétermination. On arrête pas un être de cette trempe, de cette colère ancestrale. Elle a le culot d’espérer, elle mange la frontière avec son ventre et la digère avec tous ses barbelés , ses sirènes et ses projecteurs laser. Elle est la mule qui transporte la drogue liberté. A quel prix ?
Ha je ne sais pas si les gonzesses en question étaient des grandes pleureuses… Des râpeuses certainement. Autodéterminées, à n’en pas douter.
Et vous avez ramassé leurs épluchures ? Le mot « gonzesses » me fait sourire. C’est un mot d’homme pour désigner les empêcheuses de jouir en rond ? En pleurent-ils à présent d’avoir laisser passer ces aventureuses au-delà de leur désir ? Je n’imagine pas les grands élans sans contre-coup d’effondrements. J’aime bien vous lire pour savoir ajuster mes propres nuances dans l’écriture. Ce sont aussi des frontières à considérer.
La très grande précision des images et des situations, alliée à un flottement presque irréel, ouvrent des possibilités de lecture multiples tout en ancrant un personnage très fort. Votre texte aussi est très fort.
C’est que je me promène en bonne compagnie… Hannah Arendt, Agota Kristof, Simone Weil et Marie Curie… Pas franchement respecté la consigne cela dit 🙂
Heureux d’être passé par là un dimanche soir. Elles sont bien vos copines mais moi ce que je dis c’est qu’un texte de Marion T. c’est toujours une assurance de me remettre à niveau et bien commencer la semaine.
Tant qu’elle commence avec un petit sourire en coin, cela me va bien 🙂
l’autre langue, je crois que c’est celle que tu inventes en écrivant. la frontière, le fil à couper le beurre, les enfants de chaque côté, sa peau, l’atome, autant d’images pour exprimer ce qu’on franchit à lire le texte de quelqu’un d’autre. de la consigne, tu as gardé la fluidité du passage de Elle à Elle, le mouvant, le tremblé. l’irréel comme poste-frontière. c’est ça ?
Aucune idée, des trajectoires où quelque chose est enjambé et où l’enjambant, la personne perçoit qu’elle était en fait déjà de l’autre côté d’une frontière intellectuelle, géographique, corporelle. Des scientifiques, des philosophes, tout ça tout ça…
D’une elle à l’autre, quelle trempe !