La presqu’île qui semble n’avoir pas connu encore la trace de ce 29ème siècle, les sentiers dont celui qui mène au cap n’est que le principal, non encore carrossable, juste en terre tassée entre les végétaux, les buissons accrochés à l’herbe rase, brun sur vert, mottes posées la grande motte qu’était la terre entre le ria et l’océan. Terrain de jeux pour enfants. Une aventure hors famille mais pas trop loin. Courir, marcher en liberté. Et ce creux que l’on découvre, terre et buisson comme un orbite et ses sourcils et cette longue fente encadrée de ciment sale et dégradé. L’excitation, le coeur qui bat et l’air bravache. On cherche l’entrée, et entre des branches épineuses une porte métallique entrouverte. L’intérieur est accueilli par des propos déçus, pas trace d’arme, pas de casque. Pourtant des graffitis, des bouts de tissus qui traînent, des crottes animales ou humaines, ce squelette d’oiseau font naître un sentiment d’étrange juste assez inquiétant pour être ravissement muet.
L’étendue de sable qui n’en finit pas de grandir, cette drôle de mer qui s’en va que l’on a découvert ici, cette immensité gris vert. Cette eau immense et vivante et notre soif. On marche loin des mères et la mer semble s’éloigner de plus en plus. Nos mains jointes pour faire reculer le doute. L’humidité du sable enfin, et la longue avancée sur le sable ridé qui n’en finit pas de descendre sous la transparence de la mer. Ce moment où nos mollets tremblent dans l’image déformée par les vaguelettes lentes, où on s’accroupit, plonge la tête dans l’eau, où l’on boit. Redressés, nos grimaces. La course contre l’écœurement, l’étendue d’eau, de sable, avalée à pieds tordus, bouches ouvertes, vers les adultes menteurs qui sont le seul recours, avec une petite rancune déçue bien installée.
Le maillot tricoté sous le chandail tricoté. Les pieds qui pataugent, glissent parfois, entre sable humide, mousse verte et flaques d’eau résistantes. Ce bout de rivière qui change de nature et d’aspect au fil des heures sous la maison, l’ouverture qui s’élargit entre Trébabu et la mer. Les voix qui se perdent, volent incompréhensibles comme les cris des goélands. Un monde mouvant, se tenir à sa surface comme sur nos pieds qui s’enfoncent dans l’humidité gluante. Mais le haveneau, mais la joie des chevrettes, mais celles que l’on mange crues en cachette, mais l’océan qui entre en nous.
Le potager derrière la maison, au dessus de l’eau, les rangées de salades, de feuilles inconnues qui sont des carottes ou autres, de plantes inconnues, bien alignées et pleines de fantaisie débordante. Une découverte et un intérêt qui faiblit au bout d’un moment faute de pouvoir questionner et boire les réponses. Il y a l’interdiction de sortir des allées. Il y a aussi le plaisir des bandes de goémon sombres avec lequel il ne faut pas jouer. Vient-il de la plage à côté de Bertheaume ? Et puis il y a la cahute de bois, le banc de bois et son trou, le seau, la découverte déplaisante (mais dont on s’amuse ostensiblement faute de mieux) de cette hygiène sauvage.
Il paraît qu’ensuite il n’y a plus de terre, plus rien avant l’Amérique. C’est un terrain plat qui tombe en rocher dans la mer. Il y a deux voitures dont la notre, quelques maisons blanc-gris vides pour le moment ou toujours, un vieille église de pierre sombre et un phare qui a l’air d’un gigantesque jouet blanc et rouge. Il y a l’air plus fort que partout. Et du vent. Il y a l’immense, un peu d’ennui, un peu d’effroi chuchotant, c’est merveilleux mais j’ai faim.
Merci pour ce texte qui me rappelle un coin de mon enfance en Bretagne un peu plus au sud. Le merveilleux et l’inquiétant, le monde de l’enfance, les adultes à qui se fier malgré tout … merci pour toutes ces nuances mises en mots.
merci !
Besoin d’un exemple concret mais via une écriture qui toujours me plaise et certitude de le trouver chez vous. Et comprendre ce qu’il raconte avec ces images dynamiques dans le statique ou quelque chose comme cela. Ah oui, c’est très réussi et cela donne un superbe texte. Merci de m’avoir éclairée et merci pour ces paragraphes si clos si complets et si enchanteurs.
Oh ! j’ai l’impression; le souvenir un peu vague qu’il y avait bien meilleurs modèles
Il y a dans votre écriture une dimension nostalgique et généreuse qui me donne l’impression de feuilleter un album de photographies bien rangées ,répertoriées, qu’on aurait rouvert , un peu par hasard,un peu par « ennui », un peu par résignation paradoxale devant le temps qui passe et engloutit les images, celles du passé et celles du présent. Alors , à quoi bon ? Ou alors, pourquoi pas ? L’important c’est de pouvoir encore regarder par la fenêtre des souvenirs et tout autant convoquer celle des autres dont la lumière parvient jusqu’à nous. Vous la leur renvoyez de votre propre fenêtre aux volets bien ouverts, vous aimez la lumière du Sud, me semble-t-il, et pas étonnant qu’il y ait « un phare » ( de voyage ? Un amer ? ) comme un jouet , dites-vous. J’aime cette précision qui indique une correspondance ave l’idée d’enfance retrouvée. On peut le pointer du doigt sans sortir de chez soi, comme le font les petits dehors lorsqu’ils s’interrogent comme Giacometti sur la dimension des objets en clignant un oeil entre le pouce et l’index écartés comme une focale d’appareil photo. Peut-on ranger sa vie dans un texte court ou une boîte d’allumettes ? Un jour , Alberto l’italien avait emporté toutes ses miniatures sculptées dans une boite d’allumettes pour les transporter plus facilement, une demi-légende peut-être entrevue dans un catalogue de musée. C’est un peu ce que je lis ici en transposant. Il vous faut regarder autour de vous pour écrire , malgré la lassitude et l’abandon du désir d’écrire intermittent. Il y a longtemps que vous écrivez puisque j’ai croisé votre nom et votre pseudonyme quand la toile numérique a commencé à s’étendre. Je n’ai pas su trouver le chemin jusqu’à vous, car il y en avait déjà beaucoup à suivre, ça ne s’est pas arrangé… Mais tout arrive… Même l’inattendu des rencontres virtuelles sur les processus d’écriture qui m’intéressent de plus en plus. Je vais vous lire plus souvent et mieux si vous me le permettez. Je me représente votre « personnage » numérique comme une passagère de la parole écrite prête à tout pour ne pas s’ennuyer…Mais il y a la vie aussi .. je suppose..; Alors je ne sais pas. Mais j’aime l’image que voici parmi d’autres et le pragmatisme qui conclue : […]un phare qui a l’air d’un gigantesque jouet blanc et rouge. Il y a l’air plus fort que partout. Et du vent. Il y a l’immense, un peu d’ennui, un peu d’effroi chuchotant, c’est merveilleux mais j’ai faim.
et me voici ratatinée de timidité (et de confusion moi qui n’ai pas été capable d’écrire les quelques lignes qui manquaient à un texte faute de pouvoir me raccorder – simple pourtant) … quant à la mer : suis fille de marin, ai vécu mon enfance et adolescence sur des rives… et là justement ce sont les quelques années bretonnes (le Conquet)