Sur sa paillasse sommaire la chienne ; elle ne bave pas beaucoup pour un Boxer ; chien brun oreilles coupées en pointe et queue en moignon ; la canine inférieure gauche déborde ses babines ; roulée en boule ; haletante ; l’œil un peu rouge quand le poil de barbe blanc ; contre le rideau marron épais coupant la respiration du vent sous la porte d’entrée ; ça sent le chien pas trop mouillé ; à main droite les barreaux froids, métalliques et carrés de l’escalier qui grimpe au seul étage ; à gauche le téléphone sur le « meuble de l’entrée » ; pas trouvé de nom à ce meuble d’entrée chargé de magazines municipaux dans sa partie basse ornée de barreaux, ronds ceux-là ; surface plane avec téléphone et bloc note, le stylo manquant ; miroir en ogive au cadre du même bois au-dessus ; il passe la main dans ses cheveux blonds souples chaque matin chaque soir ; sa gueule de jeune premier ; là qu’on l’aperçoit entre la porte d’entrée et celle de sa chambre juste en face ; coup de vent ; C’est pas un hôtel ici ; sur la surface plane du meuble de l’entrée le téléphone à cadran ; ne pas se tromper ; insérer le doigt dans le bon trou du bon chiffre, produire une traction suffisante sans lâcher l’amarre jusqu’à la butée laisser faire le trajet inverse et recommencer avec le chiffre suivant ; alternance de sons ; bruit de mécanique rotative ; aigu rapide puis plus frotté plus lent ; ; fil en spirale ; entortillé ; on s’asseyait sur la deuxième marche de l’escalier, le front contre le premier barreau le combiné tenu à pleine main collé à l’oreille et à la bouche ; dévalant cette marche la bassine rouge du linge qu’elle a pris pour une luge ; le mur blanc cassé en face ; le carrelage large et beige dessous et partout autour, cuisine à gauche, salon à droite ; petite table en formica avec deux rallonges de chaque côté ; attention de ne pas se pincer les doigts ; ouvrir un côté avant l’autre ; banquette orange en faux cuir ; skaï ; sky ; années 70 ; la boîte de médicaments glissée dessous ; pour sa gingivite ? son cancer ? ; la table est restée la banquette non ; des fleurs stylisées sur les carreaux du plan de travail ; double bac pour l’évier ; elle fait la vaisselle ; longtemps elle fait la vaisselle pour cinq avant qu’il n’accepte d’acheter un lave-vaisselle ; la marmite sur le gaz ; des barques surnagent à la surface du sucre en ébullition, des quartiers d’abricots du jardin ; l’odeur écœurante, le morceau pas tout à fait cuit croqué du bout des dents ; savoureux ; sur la table en formica les énormes classeurs à gros anneaux et même à leviers pour contenir ses cours de droit ; seule dans la cuisine le soir quand la petite est couchée et les fils devant le film ; sa revanche ; ses longs cheveux broussailleux dans le dos ; le balais toujours à portée de main ; la porte du couloir ; la porte de la chambre du rez-de-chaussée grignotée sur le salon-salle-à-manger ; Gaston géant qu’il a dessiné pour son fil ; « qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? » dans la bulle ; par l’entrebâillement corde de pendu au lustre, pistes de cassette audio collées au plafond ; au mur un collage serré de détails ; une main tient une allumette et embrasse une chevelure blonde ; sur le pas de la porte la dernière claque de sa mère pour une insolence ; à droite le salon ; elle a remplacé les canapés en velours côtelé marron ; on pourrait dire chocolat pour les rendre plus attrayants mais c’est marron ; ensemble canapé et deux fauteuils en cuir vert bronze ; tapis clair nettoyé à l’éponge à quatre pattes ; rideaux bordeaux ; la salle à manger en bois lourd ; là l’annonce de la mort du père à la petite ; un mardi soir parce qu’il n’y a pas école le mercredi ; il était mort le lundi ; un répit ; mais la bonne nouvelle c’est qu’on va avoir un nouveau chien ; bonne nouvelle ; bonne nouvelle ; la salle à manger devient un ensemble de bois rose avec table ronde en verre et vitrine qui s’éclaire de l’intérieur ; nid à bibelots ; un dragon en céramique vernis irisé ; on souffle par sa queue les trous pour les doigts sont dessous ; un jeu d’échec bulgare au pièces cylindriques finement peint, un bloc de verre qui difracte la lumière, des cristaux, des pierres, des souvenirs bientôt de ses voyages ; au milieu ou entre le salon et la salle-à-manger dans cet espace indéterminé, un chevalet ; il y fait une toile avec sa fille ; du bleu pour le ciel ; des nuages ; une petite fille aux yeux bleus démesurés tient une énorme marguerite ; c’est elle ; heureuse ; pas de souvenir de la joie à le faire ; ni pour lui ni pour elle ; souvenir dans la forme des nuages qu’ils inventaient ensemble ; dans l’apprentissage du patin à roulettes ; dans la respiration d’avant dormir ; voiles blancs pour discipliner la lumière qui vient du jardin ; pas de vue que le muret au fond et les lauriers roses de l’autre côté ; l’escalier ? vers l’étage ; à son virage un très gros tableau ; grand et épais ; sur bois ; une ville tout en angles, une ville impossible ; surplombée d’un œuf géant dans un étau ; on peut rêver d’y entrer ; il suffirait d’enjamber le cadre ; on tourne au virage faute de pouvoir ; balcon sur le rez-de-chaussée ; on s’appelle depuis là ; on se laisse des messages sur la rambarde ; carrefour ; trois chambres un cagibi un toilette une salle de bains six portes blanches ; tout droit le cagibi, en boîtes, housses, paquets, fond invisible, rang de vêtements dans leur housse ; une cachette parfaite pour jouer ou en cas d’intrusion ; la mère en sort une vieille peluche cousine de Bugs Bunny remisée là (aspiration choquée) mais il a rétréci ! – mais non ma chérie c’est toi qui a grandi ; première chambre à droite du palier d’abord pour la petite ; à deux heures du matin la lumière sous la porte ; insomnie infantile ; elle traverse le corridor sur la pointe des pieds, va se planter à côté de la lampe de chevet ; statue ; elle fixe sa mère dans l’obscurité sans rien dire jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux ; dure à endormir la petite ; cauchemars lions araignées ; la mère lui tient la main longtemps chaque soir, pose sa tête sur un coin du couvre-lit Tu dors maman ? ; scènes de Barbies et Kens sur le tapis ; guerres de petits soldats et de Playmobils aussi ; à la porte suivante l’aîné ; parfum de musée ; sabre d’entraînement japonais accroché au-dessus du lit ; étagères ; crâne humain véritable ; squelette de chauve-souris ; trophées de chantiers de fouille ; chambre de la petite à son départ, glissement des univers ; puis chambre d’amis à son départ ; chat noir sur la courte-pointe blanche ; à gauche chambre parentale ; la petite qui s’est rendormie entre deux que l’on ramène dans son lit ; après la mort du père, tout est changé ; la lampe de chevet une main en porcelaine qui tient un globe ; les portes KZ du placard qui courent tout le long d’un mur sont couverts de miroirs ; en les plaçant d’une certaine manière on peut se voir devant et derrière en reflet avec un miroir rectangulaire fixé au mur perpendiculaire ; chapelet suspendu à un visage de vierge en plâtre blanc ; quelques bijoux sans valeur pécuniaire dans un coffre ouvert, sur la commode blanche ; au-dessus du lit tableau d’une femme nue allongée sur le ventre ; fond camaïeu de bleus, on ne voit pas le visage ; à 13h30 réveiller la mère de sa sieste pour qu’elle retourne au travail, ramène la fille au collège ; le dimanche, assise, le coussin relevé contre le mur, une jambe allongée, l’autre pliée, la main qui tire le pied jusqu’à toucher le sexe ou juste à côté, en pyjama, cheveux noués lâche dans le dos, elle se tire les tarots ; tasse de thé sur le chevet ; les prédictions ne se réalisent jamais ; elle trouve de nouvelles interprétations ; restent les toilettes et la salle-de-bains au fond à gauche du palier ; tapis arrondi brun et beige aux pieds, au-dessus du réservoir une pharmacie à trois portes miroir ; Doliprane, pansements, tubes d’homéopathie, Spasfon, Primperan, L72, mercurochrome, alcool 90, tubes de Lisopaïne ; encore au-dessus une petite fenêtre qui s’ouvre sur des barreaux et le toit du garage ; je ne sais si on pourrait s’y faufiler ; le chat oui ; fenêtre à laquelle la fille fumait ses cigarettes debout sur le couvercle des toilettes ; les coudes appuyés sur la pharmacie, la bouche tendue vers dehors ; ou à lire les titres des livres relégués au dernier étage de la bibliothèque installée là ; Alice, Fantômette, le Club des cinq, tranches vertes et roses ; tout en bas l’encyclopédie classique et celle des noms propres que la petite remplissait de fiches sur les dieux et déesses grecques ; entre les deux de vieux journaux et magazines, Picsou, Pif, Mickey, les Pieds nickelés, Bibi et Fricotin, lus relus, cornés, des classiques à la reliure rigide Croc blanc, L’homme invisible, David Copperfield ; dans la salle de bains, tapis sur toute la surface et sous les deux lavabos et devant la baignoire ; pas de chaussures bien entendu ; carreaux marron avec quelques fleurs beiges réparties régulièrement ; au dessus des deux lavabos un miroir triple articulé, coupé d’une coiffeuse, les pans de chaque côté en arc de cercle, en les pliant d’une certaine manière on peut voir l’arrière de sa tête ; quelques pinceaux et poudres sur le petit meuble, un placard en KZ qui s’ouvre sur les rangées de serviettes et de draps impeccablement pliés, qui sentent la lessive repassée ; au bord de la baignoire des bocaux avec des sels de bain roses et des boules translucides, des crèmes pour la peau souple, une brosse pour frotter le dos, quelques jouets quand les petits enfants sont de passage ; molletonnée la salle-de-bains ; on ouvre la fenêtre au verre trouble pour aérer ; on regarde qui vient de garer la voiture devant le muret de la maison, située presque en fond d’impasse, on a vue sur une partie du jardin du menuisier où s’ébattent les poules et dans la volière les pigeons ; le facteur vient de glisser quelque chose dans la bouche fendue de la boîte aux lettres, un tube de plastique que le père a peint en tête de bonhomme à chapeau et nœud papillon ;