Est-ce que ce sont des fruits ou juste leur écorce qui pendent en grappes aux branches défeuillées ? Est-ce qu’ils sont morts ou secs ? Et qu’est-ce que fait une graine au contact d’un trottoir ? Noir, brun et gris foncé, grappes accrochées aux branches anguleuses que l’hiver a rendu visibles, grappes constituées chacune d’une vingtaine au moins de petits polyèdres réguliers. En imagination seulement, le sec et le craquant, si elles étaient écrasées, et le froufrou des feuilles au sol, si la ville n’était pas ville mais forêt. Polyèdres réguliers. Quelle connaissance un arbre a-t-il de ses propres formes ?
Qu’est-ce que je connais d’un arbre où je ne suis jamais montée ? – Le mauve. Le mauve des inflorescences qui montent sur les branches encore toutes brunies d’hiver et de pluie, un mauve vénéneux peut-être comme la colchique à une autre saison, le mauve à hauteur de mes yeux. Et plus seulement le brun. Printemps. L’arbre a deux couleurs maintenant. Je lui parle dans ma tête, à travers la fenêtre. Depuis ma table de travail, grand rectangle en bois verni, j’observe avec curiosité les fleurs sophistiquées à même l’écorce rude. Quelle saveur ont-elles ? Je n’y ai pas goûté. Le mauve est une couleur fade, de lingerie de maison close, de crinoline de Traviata, de volants en mauvais nylon. J’ai le dégoût de cette couleur, mais j’ai goût pour le vivant qui pousse, et j’attends le vert, le vert qui va venir, l’aspiration pour la vie, la manifestation visible de la sève de l’arbre.
J’écris sur le papier le nom que je lui donne : paulownia. J’ai appris ce nom ailleurs, dans une cour un soir de fête, à l’ombre des énormes feuilles en hexagone irrégulier (d’autres diraient : en cœur) dont les individus de son espèce se couvrent l’été. J’aime ces énormes feuilles, quand les fleurs sont tombées, qui cachent les branches et le ciel au-dessus des toits des immeubles d’en face, qui se chevauchent et se caressent, je leur souris par la fenêtre.
J’aime son nom : paulownia. Un jour, un individu de ma propre espèce m’a dit que ce n’était pas lui, qu’il s’appelait jacaranda. Entre les deux, la vérité, je ne la sais pas. Est-ce qu’un arbre peut avoir tort ? Est-ce qu’il peut, comme nous, se tromper ?