Benny avait dix-neuf ans. Lors d’un voyage aux USA en Mai 2001, Denis l’avait rencontré à Deaver dans le Wyoming. Je viens d’avoir vingt ans et je reviens d’Irak. Bien content d’avoir fini. J’ai retrouvé mes copains, je revis et ma mère est heureuse. Tiens regarde, on joue ce samedi au foot-ball, j’ai des tee-shirt du club, tu en veux, tiens trois, si tu veux pour tes enfants. Cette après-midi, je t’emmène avec moi, on va faire un tour avec le petit avion de mon oncle, je vais chercher du travail, maman est secrétaire au campus à Laramie, ça lui donnera un coup de main. Très bons moments avec lui. un gars costaud, rieur. je rentre en France et six mois après, je téléphone pour avoir des nouvelles : Benny était mort, là-bas, retourné en Irak on lui avait proposé des opportunités intéressantes dans ce pays, il y gagnerait bien sa vie. Il l’a perdue, à vingt ans.
Jacqueline, mariée, trois fils, a travaillé quarante ans, superfemme, dynamique, entreprenante, combien de fois des jeunes femmes de vingt-deux, vingt-cinq ans, au chômage, divorcées ou en crise avaient logé quelque temps dans le studio attenant à leur maison qu’ils avaient bâti pour sa mère décédée depuis. Elle a eu quelques années de retraite mais déjà elle vit assise dans son fauteuil, les pieds enflés, les mains inertes, un respirateur avec masque facial prenant nez et bouche pour l’oxygène, les yeux dans le vague elle regarde la télévision. Elle n’a pas oublié encore le nom de son mari, Joseph, et tout le temps qu’il travaille au jardin elle l’appelle d’une voix aigüe Jo–seph, jo–seph. Il vient, il vient toujours, s’assied à côté d’elle, met la main sur la sienne. Elle se tranquillise, elle le reconnaît encore, malgré la maladie de Charcot doublée d’un Alzheimer sévère.
On est en 1962. Frank vient de l’assistance publique. Placé plusieurs fois, il était pour l’instant dans une toute petite ferme du côté d’Aurillac, chez un couple d’agriculteurs pas aisé mais aimant. La ferme n’étant plus suffisante pour trois, ils décidèrent de le mettre en apprentissage et trouvèrent un employeur guère plus riche qu’eux, vendeur d’électro-ménager. Celui-ci raconte : Qu’est-ce qu’il était timide, rougissant dès qu’on s’adressait à lui, ne parlait jamais, mais par contre travailleur, il voulait tellement bien faire, il aimait beaucoup venir en tournée avec moi. On s’est entendus tout de suite tous les deux. Il a bien bossé. Il a eu son CAP puis a cherché un employeur car je partais ailleurs. Je l’ai revu huit ans plus tard, venu pour un client, je voulais avoir de ses nouvelles : Il était heureux, était devenu technicien très apprécié, s’était marié et avait deux filles. Viens, viens chez moi, tu verras ma femme et mes filles, elles savent qui tu es, ah! je ne veux pas te laisser repartir sans venir chez moi et l’année prochaine tu reviens en vacances avec ta femme et tes enfants.