Trainée sur le même chemin d’été par ta meute en lycra, claquettes en choeur sur le bitume chaud, pavillons beiges, pavillons roses, pavillons blancs, patios ombragés de pruniers, de pins parasol, tu sauras bientôt lire leurs noms en fer forgé. Odeurs de laurier, de béton gorgé de soleil, vous traversez la route en culotte, longez la maison inachevée, bordélique, ils ricanent avant de tourner, le goudron se fait carrelage, file droit vers le front de mer. Ici, tu sens monter la même excitation, la même sève. Saluer la mer, vite. Vous dépassez les barres d’immeubles, le drapeau vibrant de tramontane est vert. Traverser la route, descendre les escaliers quatre à quatre, premier contact rond et plein avec le sable, dépasser les riches en chaise longue, slalomer entre les corps graissés, s’approcher au plus près du rivage, blottir l’oeil dans le clapotis et les scintillements dorés pendant que ta brochette se dépose à sa place habituelle afin de cuire. Jour après jour, l’ennui mortel te force à contempler des heures durant, immobile, les corps en vacance, les peaux luisantes, le large, en caressant le sable.
Celui qu’on appellera Le parc vient de s’élever, ses jeunes arbres tenus debout par d’énormes bras d’acier, sa pagode blanche en plein coeur pilonnée dans le béton, ses allées molles en arabesque couleur terre battue. Ton oeil toujours au troisième étage voudrait du ciel, cherche les nuages, vagabonde entre les tours, s’effondre. 20h02, les portes se ferment, vient l’heure des lourdes silhouettes sur le banc spiralé autour de la fontaine hors service, éclats de gorges, fumées de cannabis, jeunes corps en parade coincés sur scooters et baskets neuves, le plus fort sera le plus bruyant. Ton oeil balaye les fenêtres sans rideaux, jambes agitées d’une large famille peut-être, à gauche, et l’ombre fantasmée en face de toi. Elle fume sur son balcon, te promet une profondeur durable, à travers elle tu passeras longtemps pour trouer le béton et l’acier.
Bande de filles tournent, tournent autour du stade terreux et cabossé collé au Boulevard Périphérique en contrebas. Tu parles les yeux baissés, veilles à ne pas toucher les lignes en marchant, vous enjambez les flaques grises. Parfois vous guettez les exhibitionnistes derrière la grille, vous notez leurs plaques d’immatriculation, écrivez leurs portraits, recueillez les indices, ici un magazine pornographique que tu mets dans un sac destiné à la directrice du collège qui le donnera à la police. Non loin de là, à l’abri des regards ou dans un angle mort, assise au bord d’une mare ou d’un point d’eau rempli de rainettes, de poissons flous, tu tousses ta première cigarette.