Il y a ce cerisier là- haut : tombé, racines en l’air depuis plus d’un an. Au printemps, il a fleuri et fait des feuilles,comme si de rien n’était. Mais n’est jamais venue la saison des fruits. Ça s’est arrêté là, jachère. Personne ne l’a tronçonné, déblayé : il gît encore dans le jardin abandonné, avec encore un air de dignité, celle du vieillard dont la barbe blanche s’étale sur le drap du lit et qui aborde, calmement, aux derniers jours de son temps.
Le mélèze chez ma mère a été rapporté d’un randonnée alpine, précieux souvenir, transporté dépassant d’un sac à dos, puis planté taille bonzaï dans un jardin fragile, sans y croire. Et puis, d’année en année, devenu trop grand, trop haut. Je le trouvais trop près de la maison, pensant à l’éventuelle tempête qui un jour l’abattrait sur le toit. À l’automne, ses épines font un tapis très doux. Au printemps, il renaît en un vert unique. La maison a été vendue aux voisins qui veulent le sauver, ne pas risquer qu’il ‘tombe entre de mauvaises mains’.
J’avais dit qu’il tomberait, … Il y avait ce lierre, si beau, qui commençait à sérieusement lui peser ; un lierre qui produit des grappes violettes du plus bel effet. J’en fais des bouquets, je veux du vert dedans aussi.
Il était là, bien avant moi, bien avant ceux qui avaient habité la maison avant moi, et ceux d’encore avant, majestueusement droit, enfin… presque. Installé sur le talus, tout au bord du chemin. Le terrain dessous, en pente et en rochers, lui donnait du mal : difficile de s’enraciner dans cette montagne, mais il y était parvenu. Il faisait partie du paysage, planté aux côtés de cette maison étrange, comme pour la marquer. Un amer au flanc de la montagne. Je disais : ‘ vous voyez là haut, le grand peuplier ? C’est là que j’habite’. Je ne savais pas quel âge il avait, juste qu’il allait tomber un jour. Il servait d’abri à une petite famille d’écureuils roux que les pies avaient en vain tenté de chasser. C’est joli, un écureuil, vif et rapide, presque volant de branche en branche. À cause du lierre qui avait fini par l’empêcher de faire des feuilles, il s’étiolait. Oh, il restait vert, mais ce vert, ce n’était plus le sien, c’était celui de ce parasite, un vert arrogant, m’as-t-vu, genre… moi je suis vert tout le temps, ne vous en déplaise. Quand il neigeait, ses feuilles retenaient le poids que l’arbre, lui, devait porter.
Et puis il y a eu un coup de vent. De ce vent que j’aime, qui fait craquer les bois de la maison, réveille les frondaisons alentours, fait crier les oiseaux de nuit. Cette nuit là, il n’a pas faibli. Un courant d’air violent s’engouffrant dans l’espace laissé par le large chemin au bord duquel il était encore debout. Dans le vacarme de la tempête, je ne l’ai pas entendu tomber. Ce n’est qu’au matin que j’ai vu.
Mon grand père avait planté pour moi deux longues lignes de peupliers dans un terrain qu’il appelait le marais. Une peupleraie, installée sur un terre tourbeuse, brune et riche au labour, presqu’une glaise. Il m’avait promis que cela me rapporterait plein de sous ! Je n’y suis plus retournée après sa mort. Je ne sais pas ce que ma peupleraie est devenue, si les arbres sont encore debout.