A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

#anthologie #39 | coup de téléphone à Séville

Tu aimais parler, tu as aimé téléphoner. 
Dès que possible, tu as fait installer le téléphone, dans le salon, sur une tablette en bois, face au trumeau, et ainsi tu pouvais te regarder en parlant. Ce reflet de toi auquel tu t’adressais, qui te renvoyait tes mimiques, t’est-il arrivé de la prendre pour l’autre? Ne plus savoir qui est soi qui est l’autre. T Continuer la lecture#anthologie #39 | coup de téléphone à Séville

#anthologie #38 | un dimanche pas ordinaire

Cela aurait dû être un dimanche comme les autres, un dimanche comme tous les dimanches, comme elle croyait qu’ils seraient tous, un dimanche qui se confondrait avec tous les autres dans sa mémoire : les visages apparus à la fenêtre, la phrase rituelle, je vous jette les clefs, la serviette incongrue qui tombe sur le goudron, là où pissent les chiens, roulent les voitures, crachent les jeunes et les vieux, trainent des mégots, l’escalier, la deuxième phrase rituelle, Continuer la lecture#anthologie #38 | un dimanche pas ordinaire

#anthologie #36 | le dictaphone

Le dictaphone est sorti, sorti de l’armoire, dictaphone gris, large, large comme les premiers walkmans, rectangulaire, avec des angles qui dénotent une époque, comme le plastique, comme la couleur, comme la matité. Objet technique réduit à une seule fonction à la manière du coupe-papier. Enregistrer, conserver, restituer. Trois verbes, une seule fonction en réalité. Le dictaphone est là, sur le canapé. Le carnet est prêt, le carnet pour consigner, pour enregistrer sur la feuille les mots parlés, pour enregistrer avec l’écriture les mots prononcés. Le carnet est prêt pour retranscrire sur le papier les mots, le grain, les silences, l’accent, les tournures, ce qui se dit, ce qui se tait, ce qui se devine. Continuer la lecture#anthologie #36 | le dictaphone

#anthologie #35 | en voiture

Elle est assise à l’avant de la voiture, une 504 blanche. À la place du mort. Rue étroite, hauts murs aveugles sur la droite. 

Voix off : on serait un dimanche probablement, après le repas dominical, le repas traditionnel, on l’aurait aidé à débarrasser la table, elle irait rejoindre sa belle-soeur. 

La voiture dépasse une église moderne, qui tient plus lieu de la villa de lotissement que du monument historique. Église moderne dans une ville médiévale. On est dans la partie neuve de la ville. L’avenue est large, on y circule en voiture. 

Voix off : Elle penserait peut-être aux paroles de l’homélie entendue la veille au soir.  Les écoutait-elle attentivement les homélies? Elle parlerait au conducteur. Elle lui parlerait du repas, elle lui parlerait parce qu’elle aime parler, elle lui parlerait parce qu’elle craindrait peut-être aussi le silence, le silence entre eux. Elle parlerait. Elle parlerait tandis qu’il la conduirait, tandis qu’il la conduirait au verger. Continuer la lecture#anthologie #35 | en voiture

#anthologie #34 | voix et cassette

Appuyer sur le bouton du Dictaphone, elle est là, sans annonce, sans préavis, là dans la pièce, elle qui n’est plus. Là, présente. Ici, avec moi. Elle ignorait la présence du micro, nous deux en face d’elle, autour de la table devenue trop grande. La voix forte, loin du micro pourtant, sûr qu’on l’entend de l’appartement voisin. Dans les escales je te le balance. Jamais je ne l’ai entendu dire les escaliers. La langue truffée de mots venus de nulle part. Vérifier toutefois si dans une langue, un patois, ils existent ces escales, ces escales dans lesquels à jamais il dégringole celui dont elle ne veut pas entendre parler. Continuer la lecture#anthologie #34 | voix et cassette

#anthologie #33 | trottoir buttoir

Trottoir buttoir – trottoir traitre – roues – pousser tirer grimper dévaler s’accrocher – ne pas tomber – roues caniveau – roues dans l’eau du caniveau – traces d’eau – traces de roues – traces de roues sur trottoir – trottoir s’affaisse – portail garage – trottoir s’élève – étroit – caniveau – ne pas glisser ne pas tomber – goudron – voiture garée – descendre sur chaussée – grimper sur trottoir – trottoir buttoir – trottoir étroit – trottoir qui grimpe trottoir qui dévale – chaussée de goudron – goudron brillant goudron glissant – trottoir glissant ne pas tomber ne pas déraper – Continuer la lecture#anthologie #33 | trottoir buttoir

#anthologie #32 | un rouge

Dix-huit ans qu’elle a quitté son appartement dans la vieille ville, les ruelles pavées, la proximité de la cathédrale gothique, le petit plan et l’ombre des platanes, les arènes romaines, les porches obscurs, pour ce quartier plus récent, ce quartier familier pourtant, à deux rues de celle de son enfance. Ville où elle est née, ville où elle mourra probablement. Une sous-préfecture. Quatre-vingt mille habitants maintenant. Une ville rouge, comme le midi, comme son mari, comme le neveu, comme tous ici. Un rouge, elle dit à propos du mari. Pas communiste, pas de gauche, non, un rouge. Continuer la lecture#anthologie #32 | un rouge

#anthologie #31 | pas de quoi en faire une histoire

Mais pourquoi tu fais ça, tu la rabâches et rabâches mon histoire? Comme si j’avais une histoire, comme si c’était un conte de fée ou la petite fille aux allumettes ma vie? Qu’est-ce que tu crois, c’était rien d’extraordinaire ma vie. Qu’est-ce que tu t’embêtes avec ça. Faut le laisser tranquille le passé. Tu crois pas que j’allais rester clouée toute ma vie sur celle de ma grand-mère? Je l’ai même pas connu ma grand-mère, je sais même pas comment elle s’appelait ma grand mère, moi, même mon père je l’ai pas connu, et même comme ça il était déjà assez encombrant, t’embête pas ma fille avec le passé, laisse-nous tranquille nous les morts, on a fait notre vie, on a fait ce qu’on avait à faire, on s’est débrouillé comme on a pu, occupe-toi plutôt de toi, des tiens, des vivants, qu’est-ce  que tu vas t’embêter avec des morts, moi ma mère c’est quand elle était vivante que je m’en suis occupé mais après j’allais pas faire des cuentas, en reparler, ça servait plus à rien, j’allais pas pleurer tous les jours sur sa photo, ça sert à rien ça, les grandes lamentations et toutes les cuentas, je dis pas que tu fais semblant, ne me fais pas dire ce que j’ai pas dit, mais qu’est ce que tu vas t’embêter avec nous? Continuer la lecture#anthologie #31 | pas de quoi en faire une histoire

#anthologie #29 | impossible arrivée

…et toujours je l’accompagnerais au marché, toujours je marcherais à ses côtés sans pouvoir l’aider, toujours je  tremblerais de la voir tomber et toujours je l’y renverrais au marché, toujours je la laisserais emprunter ces ruelles vides, ces trottoirs cabossés… Il lui faut se hâter de rentrer. Elle a tant de choses à faire. Est-il réveillé? Elle n’a pourtant pas Continuer la lecture#anthologie #29 | impossible arrivée