A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

#anthologie #18 | photos

Pochette verte à photos
Livrets de famille, cartes d’identité, carnets militaires, actes de décès, lettres, photos d’identité, photos de mariage, photos de repas de famille, peu nombreuses finalement, venues d’un temps où l’on ne possédait pas soi-même un appareil photo. Des traces à partir desquels reconstruire des vies avec des mots. 

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#anthologie #17 | à la supérette de Meymac

Les enfants ont d’abord râlé. Quoi la Corrèze? Pourquoi ne retourne-t-on pas en Espagne ou en Toscane? Heureusement la piscine, la table de ping-pong et le baby-foot ont rapidement eu raison de leurs réticences. Et puis, trouver une maison à louer en juillet pour douze personnes avec piscine quand on s’y prend en juin limite le champ des possibles. Voilà comment je me retrouve un samedi matin de juillet 2010, dans la supérette de Meymac, une liste de courses à la main, à la recherche de flocons d’avoine. Que de temps on perd dans un magasin qu’on ne connaît pas. Les rayons sont déserts, personne à qui demander un renseignement. Devant le rayon des pâtes et du riz, une silhouette familière. L’homme est de dos. Chemise bleue en fil, pantalon large gris, le cheveux est court et gris, le crâne légèrement dégarni, un morceau de papier dans la main gauche. Je m’arrête, retiens mon souffle, souhaite devenir invisible. Ne pas le déranger. L’animal a l’oreille fine. I Continuer la lecture#anthologie #17 | à la supérette de Meymac

#anthologie #16 | tétanie

Elle est assise à côté en face de lui et lui sourit. Elle sourit des lèvres, elle sourit des yeux. Ses yeux doivent parler. Dire qu’elle comprend. Qu’elle suit ce qu’il dit. Le cou, la tête acquiescent. Les lèvres fermées s’étirent, dessinent un sourire. Un sourire qui dit oui, je te suis, j’ai compris, je suis d’accord, je comprends de quoi tu parles. Ses yeux la trahissent-ils? Devine-t-il qu’elle ne sait pas qui est cette personne dont il parle? Un intellectuel, un homme politique, un écrivain? Sourire. Se taire. Acquiescer. Mais ses yeux? Comment leur donner cette lueur d’intelligence de celui, de celle- difficile pour celle, difficile pour elle- qui a compris, qui sait de quoi, de qui, on parle? La devine-t-il? Sait-il sa bêtise, son inculture? Sourire. Sourire du niais, du sot. Sourire de la niaise, de la sotte. Subir le discours. Toujours mieux que d’avoir à parler. Le laisser parler. Il aime parler. Il sait parler. Il sait tant de choses. 

Il saisit parfois de l’effroi dans son regard, comme un appel. Parfois un vide. Il a l’habitude. Les élèves d’abord. Et tant d’autres. Il parle pour lui. Il parle comme il pense. Il parle parce qu’il pense. Il pense tout le temps. Penser, verbaliser. Là il est a son affaire. Qu’elle se taise. Qu’elle se taise ou qu’elle parle, peu importe. Il habite sa pensée, la déploie, la creuse. La donne à entendre, la partage avec ses auditeurs. Son auditrice en ce moment. Il la subjugue. Elle lui sourit. Elle se réjouit de ce qu’il dit, de ses finesses intellectuelles, de son acuité, de sa force de raisonnement. Rares en sont capables, il le sait. Continuer la lecture#anthologie #16 | tétanie

#anthologie #15 | j’ai raison, non?

J’ai raison, non? Et le piège se referme… Ce n’est pas une question… Nul ne demande votre avis… La question est sans appel… Vous ne pouvez vous opposer, réfuter, dire non… Le non a déjà été dit… Pour acquiescer, affirmer, affirmer que j’ai raison… J’ai raison, non? Un n’est-ce pas, en réalité… Un n’est-ce pas et non pas un non… Un non qui a du n’est-ce pas la négation… Et la fonction… La réponse attendue… La réponse à dire… La seule réponse possible… Oui… Ou bien sûr… Bien sûr que tu as raison.. Tu sais bien que tu as raison… Tu l’as dit que tu avais raison… Tu as raison… Tu as raison d’avoir raison… Je te donne raison… Ne pas le faire serait avoir tort.. Tort puisque tu as raison… J’ai raison, non? Dis oui… Tu dois dire oui… Tu dois dire que j’ai raison… Pas besoin que je te donne des raisons puisque j’ai raison… Je te demande pourtant… J’ai raison, non? Parce qu’un doute… Doute fugace, vertigineux… Vite demander, vérifier… J’ai raison, non? Continuer la lecture#anthologie #15 | j’ai raison, non?

#anthologie #14 | c’est compliqué

-Ça ne te gêne pas que tes enfants ne voient pas leur père durant des mois si tu pars vivre à des milliers de kilomètres? 
-C’est compliqué, tu sais 

Taxer les riches, c’est compliqué. 
Accepter le mariage homosexuel, c’est compliqué. 
Choisir un premier ministre, c’est compliqué. 
Trouver un appartement à louer, c’est compliqué. 
Savoir quelles études faire, c’est compliqué.
Réussir la cuisson d’une volaille, c’est compliqué. 
Trouver du temps pour écrire, c’est compliqué. 
Gérer les flux migratoires, c’est compliqué.
Comprendre le conflit israélo-palestinien, c’est compliqué.
Prendre position sur le conflit israélo-palestinien, c’est compliqué. 
Savoir si le Hamas doit être qualifié de terroriste, c’est compliqué. 
Compter le nombre de morts à Gaza, c’est compliqué. 
Savoir comment aider, c’est compliqué. 
Ne rien faire, c’est compliqué. 
En parler avec des amis, c’est compliqué. Continuer la lecture#anthologie #14 | c’est compliqué

#anthologie #13 | le jardin d’enfants

On l’appelle le jardin d’enfants ou le parc. C’est selon. Selon quand, selon qui. Ou le jardin, tout simplement. Inutile d’arriver trop tôt. Avant quinze heures, une vieille dame assise sur un banc, tout au plus. Le matin, on peut voir quelques collégiens en train de se balancer ou de tournicoter. Déposés par le bus de 8 heures, ils n’ont cours qu’à partir de 9 heures. C’est l’après-midi qu’il vit. Mères avec poussette ou enfants plus grands. On a garé la voiture le long du jardin, ou on est venu à pied. Au toboggan avec maisonnette en bois, un couple surveille des jumeaux. Faux jumeaux. Maigres. Curieusement maigres. Parce que deux dans le ventre? Le garçon a les gestes désordonnés. Avec les années, les écarts se creusent. Il n’ira jamais au lycée. Il joue de la batterie, suit un scolarité normale en primaire. Arrivé au collège, c’est terminé. Il ira avec les ULIS. Un couple de grands-parents. Leur banc est près des balançoires. Le garçonnet se promène en tirant une corde à laquelle est accroché un camion en plastique. Continuer la lecture#anthologie #13 | le jardin d’enfants

#anthologie #12 | Paris, Douvres, Sarajevo

Juste éveillés, les rêves encore tout près, à la lisière du réel, on se presse dans le couloir, valises contre les jambes Bruit des freins descendre les marches en fer Le quai Des familles, enfants endormis dans les bras, beaucoup de familles, beaucoup d’enfants quand on se croyait seuls isolés dans notre couchette Long quai gare inhabituelle Austerlitz Matin d’hiver Ce n’est pas encore la foule mais déjà les grands espaces, le bout du quai si loin, des voyageurs pressés, des employées de la gare, des chariots.  Continuer la lecture#anthologie #12 | Paris, Douvres, Sarajevo

#anthologie #11 | autoroute

Très vite ça s’était décidé Dans la voiture assise à côté de lui silencieuse Le silence s’est fait après les paroles la précipitation La nuit déjà la ville traversée L’autoroute L’autoroute comme une autoroute comme un rail Il y a peu de voitures peu de camions On salue les trois pins maritimes comme trois chefs apaches comme à chaque fois qu’on passe devant eux comme chaque fois qu’on prend cette autoroute Dans la nuit presque invisibles Seront-ils éveillés Ils ignorent notre venue Ne pas réfléchir se laisser porter Parler il a dit Le bruit de la voiture des roues du silence À quoi pense-t-il Foncer Ne pas penser Le panneau de la ville et les mots attendus énoncés comme à chaque fois Ceux d’une enfant du début du siècle Les dire ces mots les dire mécaniquement les dire superstitieusement les dire comme on rétrograde les dire comme les mains les pieds trouvent le levier de vitesse les pédales les dire comme les disait l’enfant les dire pour les faire continuer continuer une généalogie Déjà on sort de l’autoroute on traverse la ville Le Café Français Au premier étage ils habitaient l’enfant qui récitait la comptine longeait le fleuve pour rejoindre l’école L’imaginer l’enfant Continuer la lecture#anthologie #11 | autoroute

#anthologie #10 | Françoise

Elle a trente ans. Dans les toilettes du train, elle libère le bec des oies cachées dans son panier, le temps de les faire boire. Puis elle retourne s’asseoir à sa place en priant pour ne pas croiser un soldat allemand. Elle a dix ans et des gamines de l’école tire la langue à son passage, l’une lui jette un gravier dans le dos. Bâtarde, elle entend. Elle a vingt-et-un an, et elle avance au bras de Josep dans l’église. A sa future belle-mère qui lui fait remarquer ses chaussures bleues usagées, les nouvelles me faisaient mal au pied répond-elle. Au fond de l’église, une petite chose vêtue de noir. Sa mère. Continuer la lecture#anthologie #10 | Françoise

#anthologie #09 | détermination

Il fallait, ils disaient, ou ne disaient même pas, ils avaient tant dit, tant répété, tant fait comprendre, un métier il te faut, ils poussaient, ils affirmaient, ils savaient, un métier il te faut, alors quoi d’autre à faire, quoi d’autre à dire, rien à dire, rien à objecter, même si ce chemin je ne pouvais, je ne pouvais, ce chemin imposé, ce chemin non décidé, ce chemin imposé, je ne pouvais, comment aller dans un chemin étranger, comment avancer, quand poussée, comment marcher quand catapultée, comment parler quand voix emprisonnée, volée, quand bâillonnée, alors ce chemin, s’y retrouver, se retrouver pour mieux en être éjectée, non pas éjectée, rejetée, renversée, rejetée, chemin barré, chemin fermé, et revenir à la croisée sans croisée, se fracasser, se heurter, non pas  se heurter, se fracasser, laminée tu en sors, n’en sors pas de ce chemin dans lequel tu ne peux entrer, se cogner encore et encore, Continuer la lecture#anthologie #09 | détermination