A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

#été2023 #02 bis | Retour à qui envoie

« On oublie quatre-vingt-dix pour cent des choses de la vie, on deviendrait fou, on mourrait si on avait présent en mémoire tout le temps vécu. On deviendrait fou : la question du fou totalement ramenée à nous-mêmes, et pas à celle qu’on présente telle. »

Marguerite DURAS  Le Camion (réponses à Michelle PORTE)

Elle ne dit souvent que les faits et plus difficilement les affects. A moins que ce ne soit le contraire. Mais les affects restent les mêmes quels que soient les faits. On a tendance aujourd’hui à les réduire à des émoticônes, même si ça fige un peu la réalité. Mais c’est pratique pour les statistiques. Le Roman se tient là, dans cette contre-offensive à la dictature des chiffres. Il renverse avec ostentation le boulier des assignations.

La litanie des faits s’avère ennuyeuse  dans les films, ça oblige à accélérer les images, à les rendre fluides, parfois évanescentes pour ne pas trop insister, pour ne pas trop en faire et « s’en faire », s’enferrer dans le pathos. Les gens n’aiment pas le pathos même s’ils y pataugent à longueur de temps. Certains plus que d’autres. Ont-ils vraiment le choix ?

Les lieux sont remplis de la mémoire de tout ce pathos , figé à jamais, ou  effacé au fur et à mesure, à moins qu’on ne pulvérise délibérément ou inconsciemment (refoulement) les signes, les traces, les témoignages, les photos, les vidéos. C’est peut-être ce qui explique ce goût de la destruction et du pillage qu’on constate tous les jours dans le monde, jusqu’aux évacuations de Z.A.D ou de campements illicites. Dans les guerres, on s’attaque d’emblée aux abris et aux possessions.

Aujourd’hui les disparu.e.s ont tendance à rester dans l’air plus longtemps, aussi  à cause des films vidéos qu’on fait, de plus en plus, et qu’on commercialise. Ce qu’on filme est étrange car on le fait toujours à des fins nostalgiques, ou spéculatives… On vend du pathos, on vend du drame collectif, de la catastrophe et du rêve, on vend des histoires qui font frémir ou s’apitoyer. On joue sur la corde sensible de l’empathie. On s’en détourne de plus en plus quand ça se rapproche de soi et que ça déprive.

Mais si on venait à manquer d’une présence, d’un événement auquel on aurait participé, le regretterait-on autant que cela ?  « Que le monde aille à sa perte » déclare la chère et si péremptoire Marguerite Duras, elle ne fait pourtant que constater les faits. Elle, ne le dit pas n’importe quand.  C’est au sortir des malheurs de la guerre, Hiroshima est passé par là. Elle n’a rien pu voir à Hiroshima, sauf l’amour comme une hallucination salvatrice, une folie aboutie… Ce qu’elle filme, c’est ce qu’elle voudrait filmer, et qu’elle n’arrive pas à filmer, elle le sait avant même d’avoir commencé, mais elle tente le coup.  Car c’est vraiment une histoire de coup, de coup plus que de clin d’œil, il n’y a pas d’humour dans cette expérience-là, ça ne s’y prête pas. Le tête- à -tête des personnages dans l’histoire du camion est frontal, sans filtre, mais il reste dans le flou onirique de l’écriture en travail. La bande-son dissociée de l’image.

Mathilde voudrait en faire autant, mais elle sait qu’elles deux n’ont pas les mêmes images, ni les mêmes références littéraires en tête. Enfin, pas tout à fait, c’est décalé dans le temps, à cause du passage des générations, mais elles regardent les mêmes ravages, les mêmes mirages, les mêmes aberrations du monde vivant. Elles n’ont pas peur de délirer, qui est proche de délier, le contraire de ce qu’on croit pour ceux et celles qu’on dit aliéné.e.s , entravé.e.s par des liens invisibles et mortifères.

La folie c’est aussi la fuite éperdue dans l’image. La plupart des films sont des folies maîtrisées à la seconde près. La folie de l’amour dans l’Amant, est universelle, elle procède d’une fascination provisoire et d’une captation de l’autre plus ou moins violente actée et contenue. Les histoires d’amour finissent mal en général, chantait le couple Rita Mitsouko qui s’aimaient tant.  En particulier, il y a des exceptions, comme des cas uniques glorifiés et idéalisés, cela tient peut-être aux  engourdissements de l’angoisse ou la « pantouflardise », et plus tristement, de la dépendance financière, lesquelles permettent d’endurer  la promiscuité et la diminution inéluctable du désir. Aujourd’hui, on ne s’embarrasse pas de contrat à perpétuité en amour. On exulte dans la multiplication des ex, le sexe n’est plus tabou même s’il n’annule pas la dissymétrie des prérogatives genrées. Mais « la multitude des seul.e.s » chère à Paul Valéry ne cesse de grossir les rangs des grandes légions des insécurisé.e.s du siècle. Le Roman est un mythe à construire. Une construction à mains nues.

Pour y entrer en inventant une maison où le personnage principal (provisoire) il faudrait la réinventer, en lui donnant un caractère un peu mystérieux, exotique ou ésotérique, harnacher sur elle une cargaison de vocabulaire qui puisse attirer le chaland.  Que voulez-vous voir ou revoir ?  De quelle curiosité animez-vous votre lecture du jour ? Etes -vous avide de détails qui vous permettent d’entrer avec votre rêve dans le rêve de quelqu’un.e à la manière d’Antonio Tabucci ? Il a même fait rêver Villon et Rabelais celui-ci…  C’est dire si on peut fabuler à perte de mémoire.

Arriver jusque dans « cette » maison, y « retourner » et y entrer ne sera pas facile. Tous les rêves de nuit en attestent. Rien n’est fixé dans l’image, rien n’est reproductible, ce sera forcément une fable, comme tous les articles de faits divers, quelques faits, sans doute vérifiables ( en creusant bien) et du caramel dur ou mou autour. Alerte aux fioritures et à la caricature…

Mathilde n’est pas le personnage du Roman, mais  elle condense tous les autres par facilité d’écriture et d’ouverture. Elle ne donnera pas le fin mot des histoires qu’elle raconte, mais elle en affinera les contours pour indiquer l’emplacement, sans garantie de résultat. La lecture ne peut-être que ponctuelle et partielle, pas à pas, dans un espace à la fois serré et extensible.

Ce n’est pas la couleur des rideaux ou des parpaings qui guideront ses énoncés. Dire qu’elle s’en moque. C’est la stricte vérité. Ce n’est pas la fiction vraisemblable qu’elle recherche en priorité. L’effet infra réel viendra de surcroît, comme la supposée guérison en fin d’analyse. Rien n’est joué d’avance. C’est une question de croyance et non de combine oratoire de circonstance. Juste une possibilité d’adhésion sans fard à la pensée passante, endurcie mais transperçable,comme du pisée. Elle n’a pas de ligne de vie réglementaire pour ce voyage flottant dans le temps que l’espace visité rendra de toute façon, indéchiffrable. Sésame ne te referme pas ! Mathilde est là, imperturbable, mais elle ne joue pas au jokari, elle aurait plutôt envie de couper l’élastique pour ne pas avoir à renvoyer la balle en arrière.

#02 Jane Sautiere, du lieu au personnage | l’enjambement d’une cause commune

Il fallait que je sois loin, il fallait «réaliser» cette perte. Comme on dit en droit, on «réalise» un bien, on s’en sépare, on le vend! On le met dans le réel. Là, il ne s’agit bien sûr pas de vendre, mais de faire circuler ce texte. Réaliser, c’était aussi mettre de l’écrit en lieu et place de ceux que Continuer la lecture#02 Jane Sautiere, du lieu au personnage | l’enjambement d’une cause commune

été2023 #01bis | « on »a jamais autant aimé « nos » mort.e.s

Mathilde a écrit avant même sa naissance. Elle en est persuadée. Il est donc impossible qu’elle puisse se représenter la scène qu’on appellera même pas primitive, en référence à l’ image fantôme d’un engendrement extérieur à sa perception sensorielle. Elle ne pourra qu’inventer la scène originaire de son goût pour l’écriture. C’est l’unique point d’appui de son illusion d’autoengendrement dont Continuer la lectureété2023 #01bis | « on »a jamais autant aimé « nos » mort.e.s

#été2023 #lire&dire | les autres à lire… mais comment ?

Je lisais l’avenir dans des bulles de savon. Je jetais des ballons dans l’air, des cerceaux, des cerfs-volants, pour quitter le monde, J’en fis des escalades pieds sur terre. Je prenais modèle sur les braves gens qui se démènent et s’empressent de dire : « Je vous quitte j’ai beaucoup d’ouvrage. » J’imaginais douceur et douleur dans les roses de bruyère, petit Continuer la lecture#été2023 #lire&dire | les autres à lire… mais comment ?

##été 2023 #01| Le désembuage d’un.e auteur.e?

         A midi, repas dominical, on parle politique et littérature, quelqu’un dit : – moi ça ne me gêne plus de dire autrice, je m’y suis habitué ! Tu souris sans te mêler au débat. Avant on entendait – qu’est-ce que c’est que ces conneries !… ou, ça va devenir compliqué pour l’apprentissage à l’école…          Tout le monde (ou presque) connaît ton Continuer la lecture##été 2023 #01| Le désembuage d’un.e auteur.e?

#été du roman #00 prologue | quand tu essaies d’imaginer un roman d’artiste.s sur les débris que l’on voit (ou pas) !

[…] il ne reste à mes yeux que deux occasions où l’artiste reste libre de communiquer : l’une devant l’oeuvre achevée, l’autre à l’intérieur de la vie quotidienne proprement dite,où l’on montrerait ce qu’on est devenu à travers le travail, se soutenant, s’aidant, s’admirant ( au sens le plus humble du mot ) mutuellement. Mais dans l’un et l’autre cas, Continuer la lecture#été du roman #00 prologue | quand tu essaies d’imaginer un roman d’artiste.s sur les débris que l’on voit (ou pas) !

#techniques #08 | Beau comme tout…

Beau comme , tiens ! Ce camion devant nous, rempli de paille qui dodeline un peu. Beau comme , tiens ! Ce camion devant nous, rempli de palettes bien rangées comme des gauffrettes. Beau comme , tiens ! Ce camion devant nous, rempli de choses qu’on ne voit pas , mais on suppose qu’il s’agit d’agrumes. Les images désaltèrent déjà. Continuer la lecture#techniques #08 | Beau comme tout…

# Techniques #07| Quand ça glisse trop vite

Un écrivain peut faire semblant de tout, mais est-il  encore un écrivain s’il ne tient pas son semblant pour rien?  N’en va-t-il pas de même de l’amour ?» BERNARD NOËL Le 19 octobre 1977 – textes – Flammarion écrire pour glisser Bernard Noël a glissé d’un livre à l’autre, d’un texte à l’autre, d’un mot à l’autre, il a kiffé Continuer la lecture# Techniques #07| Quand ça glisse trop vite

#01 Tarkos | Tectonique des sentiments | premier inventaire

Si on laisse venir les qualificatifs en face du mot SENTIMENT cela donne une liste de 66 sentiments qui ressemble à un arbre avec des branches qui ne sont pas autonomes et dont la vie dépend des saisons et du bon vouloir des humains autour. Rien n’est dit sur le sort de chaque élément de l’arbre, lui même attend qu’on Continuer la lecture#01 Tarkos | Tectonique des sentiments | premier inventaire

#transversales # 07| Une histoire version brève

« Mais lui n’avait pas l’intention de disparaître » TARKOS Chapitre 1, où l’on verra comment l’enfant grave et espiègle est devenue poète  Au départ, l’enfant n’était ni grave, ni espiègle. Elle s’est simplement  battue sans le savoir pour survivre au sortir prématuré du ventre maternel. Elle est née sans ongles dans une maternité du Sud. Une mère épuisée par trois enfants Continuer la lecture#transversales # 07| Une histoire version brève