A propos de Gracia Bejjani

Gracia Bejjani est née à Beyrouth. Elle a quitté son pays à vingt ans, elle a fugué, n’a jamais quitté. Elle dit : « J’écris, je filme, photographie. J’écris ». Elle est auteur du recueil J’ai appris à parler sur tes lèvres (La Kainfristanaise). Ses textes sont publiés par de nombreuses revues comme la NRF Gallimard, l’anthologie 2024 du Printemps des poètes (Castor Astral), Décharge, Wam, Lettres d’hivernage, Radicale… et en ligne par le Courrier International, Plume Francophone, Hors-Sol, Poema… Elle a été programmée au Festival Extra Litteratube à Beaubourg, à la Maison de la Poésie de Paris et au Festival international de Poésie de Roulers (Belgique). Elle tient également une chronique dans la rubrique « culture » d’Ici Beyrouth. Sa chaîne YouTube, régulièrement alimentée par de nouvelles créations, regroupe à ce jour près de sept cents vidéos-poèmes. – Site : https://graciabejjani.fr/ – Chaîne : https://www.youtube.com/c/graciabejjani

#P4 | zigzags

…vous voyez ce que je veux dire… elle répète …vous voyez n’est-ce pas… elle nous regarde, nous voyons ses yeux, ce qu’ils disent, mouvements en zigzag pour attraper le visage qui céderait, qui parmi nous tendrait une brèche …vous voyez ce que je veux dire… on ne s’était pas préparés à reprendre son fil, le tisser de nos yeux, elle Continuer la lecture#P4 | zigzags

#L2 | on ne

On ne prononce pas le H dans je te hais. On n’invite pas le voisin comme ça, juste pour faire connaissance. On n’utilise pas « trop » en emphase du « très », le trop a une connotation négative. On n’en fait pas trop, on mesure ses élans. On ne veille pas à « sujet verbe complément » comme dans les dissertations, ce n’est pas systématique Continuer la lecture#L2 | on ne

#P2 | paupières fêlées

les yeux adultes. grands ouverts, tu ne vois pas leurs yeux qui te regardent que tu évites de regarder. regards des hommes, le voisin, l’épicier du quartier. tu connais les prénoms et leurs regards sur toi. l’ami du père, l’oncle. yeux des hommes sur ton corps, leurs yeux ne croisent pas ton regard, ils évitent tes yeux bavards, tu es Continuer la lecture#P2 | paupières fêlées

#L1 | Quitter terre.

Rythme lent des bagages comme ballotés par l’hésitation des chariots sur la piste grise. Lent, si lent comparé à la vitesse du vol qui ne tardera pas à les emporter en soute. Elle les regarde trembler. Décompter les coques noires, repérer les moins classiques. Attendre une chute pour le plaisir de l’incident, égoïste plaisir : son unique bagage déjà en cabine, Continuer la lecture#L1 | Quitter terre.

Terre d’eau

Terre aux frontières d’eau, ici la mer nous longe toujours, évidence d’à côté. La Méditerranée noyée par ses couleurs aux horizons, paresse de longs mouvements. Quand elle est à notre gauche, on se dirige nord ; à notre droite, trajets vers le sud. Petite, je regardais la mer avec mon corps : me rassurer du retour à la maison. Ou éprouver l’éloignement. Continuer la lectureTerre d’eau

Quand vos yeux coïncident

Ta petite peur, croiser son visage. Peur sans danger, mais terreur. Tu as appris à oublier entre deux rencontres, puis silencieux vertige te revient dès qu’à nouveau son visage. Tu as appris à ne pas le voir, à l’enliser halo. Tu regardes plus bas, plus haut ; te soustraire à l’axe d’entre toi et lui. Conjurer cette ligne qui nouerait tes Continuer la lectureQuand vos yeux coïncident

Table de salle à manger

Jour 1 — « chez toi, les meubles ont des pieds », ta mère aime se faire taquiner, les pieds qui bougent, c’est elle, sa manie de remodeler les pièces de l’appartement. Plusieurs fois par an, lieux se transforment, identiques déplacés, différemment assemblés. L’espace se fabrique dans le mouvement des objets. Ça circule, ça vit, vous déménage sans changer d’appartement. Les meubles ont Continuer la lectureTable de salle à manger

CONTRE

Tu t’appuies pour éloigner la peur, tressaillement de sang, sa peau, battre à l’unisson de sa peau, elle qui est limites de toi tu te poses, tu confonds vos pouls, présence et solitude emmêlées, en ce point d’appui où ça cogne, tu te redresses, ses muscles moulus, sortir des morsures de l’enfance, tu pousses, au frottement de ton corps, ses Continuer la lectureCONTRE