A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

L#2 Tout ce qu’il ignore


Il ne connaît le nom d’aucun des arbres gigantesques qu’il découvre, ni d’aucune de ces plantes flottantes d’où s’envolent en criant des oiseaux rouges, pas plus qu’il ne comprend la langue des Chinois qu’il transporte (il a l’impression qu’ils parlent tout le temps dans son dos et cela depuis des semaines de voyage). Mais il sait où il va, il a un projet, projet d’installation avec son beau-frère dans cette habitation pour laquelle il est allé chercher ces employés chinois. Il trouvera, avec l’aide de ce second qui parle quelques mots de français et auquel les autres obéissent. Ces gens-là sont malins, débrouillards, capables de supporter la faim, la soif et ils n’ont pas peur de l’inconnu. Il en faut de la misère pour s’embarquer ainsi au bout du monde pour quelques sous. Lui non plus, n’a pas peur, mais ce n’est pas la misère qu’il l’a fait partir, c’est autre chose qu’ils ne peuvent pas comprendre. Ils vivent au jour le jour sans but. Beaucoup sont morts en chemin, fièvres, dysenterie, éruptions étranges et toutes sortes de misères dues à leur faible constitution. Lui est fort et en bonne santé et son projet le porte, le protège du mauvais œil. Il ne croit pas au mauvais œil dont son second ne cesse de lui parler. Pour un blanc comme lui, bien né, dans une famille respectée (son père n’était-il pas médecin ?) le mauvais œil est un racontar de vieille femme ou de chinois. Il reviendra fortune faite, sera fêté adulé, respecté même par son père. Il le sait, il sent sa bonne étoile. Ce qu’il a déjà accompli est immense. Cette longue traversée dangereuse, il a su en venir à bout. Il viendra à bout de bien d’autres obstacles.
N’est-ce pas cela qu’il a voulu : s’embarquer, partir loin et faire fortune dans ce vaste pays qui possède tant de terres vierges. Comme tant d’autres qui ont réussi. Pourquoi pas lui ?


Ce qu’il ne sait pas, c’est que son beau-frère est mourant ; il devrait se douter de quelque chose en ne voyant personne au débarcadère, mais il est plein de ses espoirs, remplis de ses illusions et tellement heureux de toucher enfin la terre ferme. Il ne sait pas non plus que l’habitation est en friche et ne ressemble pas du tout à ce qui lui a été écrit. Les cabanes de bois construites rapidement n’ont pas résisté aux pluies diluviennes, on dort dans des hamacs par crainte des serpents et on peine à négocier sa pitance avec les indigènes qui préfèrent la vendre aux chercheurs d’or. Tout est à faire, à reconstruire et il faudra encore trouver des prêteurs pour les investissements de départ, ces plants de cannes que les colons installés ne cèdent pas facilement de peur de la concurrence des nouveaux arrivants. Ce qui ne sait pas non plus c’est que sa femme vient d’accoucher d’un garçon. S’il le savait, cela lui donnerait du courage. Il a tellement peur que ce soit une fille, une fille fragile et délicate. Il ne sait pas d’où lui vient cette angoisse tenace d’avoir une fille, un cauchemar qui ne le lâche pas depuis son départ, depuis qu’il a appris la grossesse de sa femme.


Fièrement campé sur le pont, il donne des ordres à son second. Les Chinois obéissent, se jettent à l’eau au péril de leur vie pour accoster et amarrer le bateau. Les boucaniers n’ont pas bougé tous à leur affaire de rôtissage au milieu de la fumée. Une famille en pirogue fait des signes aux Chinois qui nagent avec peine dans le courant violent et sauvent un malheureux qui se laissait emporter dans les eaux boueuses. Ces gens-là se comprennent pense-t-il avec mépris. Ce sera utile pour la suite.
« J’ai faim et soif », crie-t-il aux boucaniers qui le regardent arriver avec de grands sourires.

P#2 Avez-vous un projet ?

Avoir un projet, construire son projet, de devenir riche, de fonder une famille, de construire sa maison, de voyager, de devenir quelqu’un, d’être connu, reconnu, célèbre, célébré, d’avoir un garçon, d’écrire un livre, d’être publié, applaudi, invité, fêté, sollicité, de changer de vie ; un projet d’épargne, de vacances, de bonheur, d’amour, d’épanouissement, d’investissement ; sans projet, on n’existe pas ; projet politique, Continuer la lectureP#2 Avez-vous un projet ?

L#1 Il arrive par la mer


Il arrive par la mer. Rien ne ressemble à ce qu’on lui avait raconté, à ce qu’il avait imaginé. Il plisse les yeux pour voir mieux cette ligne verte qui grandit, l’eau boueuse qui a remplacé l’océan. Il y a ces cris d’animaux stridents, intenses sans qu’il arrive à déterminer s’il s’agit d’oiseaux, de batraciens ou d’animaux terrestres. Ça hurle, ça crie, ça barrit, ça rugit, ça meugle, ça caquette, ça geint. Des milliers de gorges invisibles dans le vert dense qui s’approche menaçant, sauvage, grouillant. A-t-il peur ? Est-il déçu ? Pas le temps de se poser la question, il faut trouver le débarcadère, un endroit où accoster et il ne voit rien. Pas une habitation, pas de quai visible, rien que ce courant chargé de boue qui le fait dériver comme s’il était pris dans le courant d’un fleuve plus fort que les vagues. Une odeur de fumée, de viande qu’on boucane. Il est dans la bonne direction. Deux silhouettes affairées. Ils l’ont vu ; vont-ils l’aider ? Amis ou ennemis ? Il a faim tout à coup et soif surtout. Il est enfin arrivé.

P#1 Des nuits


Des dortoirs de l’internat, j’ai peu de souvenirs. Je revois l’organisation des lits, les armoires dissimulant la ligne des lavabos, la cabane de la pionne à l’entrée où la lumière durait longtemps après l’extinction des feux. Des lits si proches les uns des autres qu’on dormait dans l’odeur et les bruits des voisines. Sensation d’absolue solitude et de différence dans la chaleur épaisse des corps et des souffles. S’enfermer en soi-même pour trouver le repos. Tenir la rondeur fraîche des barres du lit de métal.


Ce lodge dans le marais de Kaw. Des voiles qui bougent. Largement au-dessus de l’eau, à l’abri sous les moustiquaires. L’air sur la peau et le bruit des bêtes, un infime bercement aquatique. La sécurité de la cabane ou du ventre de la mère.


Nuits sous la tente, plaisir du souffle d’air sur la peau et de la lumière dorée du matin, même les jours de pluie à travers le tissu orange de la tente canadienne.


Nuits à la belle étoile, trop rares (pas le courage). Ça pique. Matelas de fortune plein de punaises. Réveil le corps enflé de piqûres. Traitée aux anti-histaminiques qui me font vomir.


Nuits d’orages, de moins en moins aimées. Je sens la peur du chien qui devient mienne.


Nuits sereines où l’endormissement me saisit sans délai. Sommeil lourd et profond. Réveil lumineux apaisé. Presque toutes.


Nuits chagrines où le sommeil tarde à venir. Remâchage impuissant de soucis tenaces tournés et retournés sans issue.


Nuit en train sans couchette. Départ sur un coup de tête avec une bouteille de vin en guise de somnifère sur le plancher du compartiment où nous n’étions que trois.


Nuits en avion à regarder des films en faisant les exercices prescrits pour activer la circulation. Corps ankylosé et tête pleine de personnages et d’histoires.


Nuits de décalage horaire. Fièvre de lecture et de cigarettes. Sentiment de puissance contre le temps. Matin nauséeux.

Au fil de l’eau

Elle prenait les eaux à Vichy lorsqu’elle perdit les eaux et accoucha d’un garçon. Exactement neuf mois après le départ de son mari pour les Amériques. Elle le prénomma Benito pour la consonance latino-américaine et les vertus de l’eau bénite. L’époux parti pour remonter l’Amazone s’était arrêté à Camopi au bord de l’Oyapock. Elle attendait de l’or et reçut des Continuer la lectureAu fil de l’eau

Ils ne veulent plus sortir ! (Étude de la grande Maladie de l’amour du Domicile. Raisons de la Maladie. Accroissement progressif de la Maladie.)

Ils ne veulent plus sortir ! C’est la grande peur du moment. Les parents le disent des enfants. Les grands enfants le disent de leurs vieux parents. Ils ne veulent plus sortir ! Les enfants sont de plus en plus calmes. C’est comme s’ils étaient rentrés en eux-mêmes, partis chercher un mystérieux trésor aux tréfonds de leur être. De l’extérieur, cette quête Continuer la lectureIls ne veulent plus sortir ! (Étude de la grande Maladie de l’amour du Domicile. Raisons de la Maladie. Accroissement progressif de la Maladie.)

Obsession de l’ordure

Ah Baudelaire, pourquoi ton Paris ne ressemble-t-il pas à celui lumineux des impressionnistes ? Quel mauvais sort tu fais à la Ville lumière ! Il ne fallait pas mourir si tôt, tout était en marche vers l’embellissement ! Napoléon et Hausmann s’en occupaient ! Ton pote Nadar aurait pu te parler des grands collecteurs que construisait Belgrand, il est allé les photographier à sa Continuer la lectureObsession de l’ordure

Fréquenter les artistes

C’est vrai qu’on s’ennuierait tout le temps, si l’on ne mettait pas un peu de curiosité dans sa vie. Ni les voyages lointains, ni les gadgets technologiques, ni les divertissements de toute sorte, ni les amours les plus diverses ne seraient suffisants. Moi mon truc, c’est de fréquenter les artistes ! Je me restreins aux photographes et aux écrivains, j’ai besoin Continuer la lectureFréquenter les artistes

à mes passants

Retour d’Ouessant sur le pont du Fromveur, vers Brest, tu me lis des poèmes ou tu les composes. J’ai mal au cœur ou bien c’est toi, je ne sais plus. Une semaine à baguer des oiseaux, j’ai sommeil. Kibboutz Baram, Israël 1969, ta sœur vient d’émigrer, dortoir commun garçons-filles, tu dors chez ta sœur dans la zone réservée. Grâce à toi, Continuer la lectureà mes passants

A la recherche du congre, je pêche la crevette avec Francis Ponge, Baudelaire vient à mon secours

Les vacances au Grau-du-roi, c’était juste avant la rentrée, en septembre. Une semaine chaque année, pas plus, les enfants et maman. Papa ne venait pas au Grau-du-Roi. Le village était tout petit, les maisons étaient basses, la mer juste devant, pas de sable, mais des gros blocs de béton. On arrivait au Grau-du-roi lorsqu’on avait dépassé les remparts d’Aigues-Mortes par Continuer la lectureA la recherche du congre, je pêche la crevette avec Francis Ponge, Baudelaire vient à mon secours