A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

Notes partition

Redistribution : pourquoi ce classement  plutôt qu’un autre ?  A  la relecture, par la suppression  des points d’ancrage liés aux propositions, il y a eu  libération d’un espace  indépendant,  chaque texte extrait  du déclenchement initial trouvant une autre place, plus organique peut-être, évidente aussi. D’ailleurs, la nouvelle place de chaque texte définit, comme en filigrane, d’autres textes, invisibles.  La suppression des liens Continuer la lectureNotes partition

Toujours autre

Ce qui pousse à revenir au même endroit, toujours autre, toujours déplacé. Ce qui tient le toit, tient du toit,  et forme le toit : un assemblage de fragments serrés, dessinant  l’espace protégé  et déclenchant la présence de l’horizon, au-dehors.  Ce qui pousse hors des retranchements, comme dans la nécessité de déménager les mots qui brûlent, de les transporter avec les Continuer la lectureToujours autre

Quatre 27 Septembre et une image

Dimanche 27 Septembre 1970 (année de la rencontre. Extrait du Journal 1970.). Avec eux, qui souffrent de handicaps mentaux. Notre local : Mille-clubs, à Gif. Vingt-cinq degrés à l’ombre et de nouveaux arrivants. Deux filles dont l’une travaille dans le même atelier que Cyril, maigre et mangé de boutons, à Créteil. Elle tisse de la laine tendue sur un morceau de carton, son fil de chaîne est très rouge, vert et bleu obsédants en guise de trame. Elle veut offrir son ouvrage à Cyril dont elle parle sans cesse ; ses mains tremblent et transpirent, elle a des fous-rires monstrueux qui l’étranglent presque. Elle dit à Olivier assis au bout du banc et  qui nous regarde : « Tu ressembles à un mur » puis m’enlace violemment. Son tissage, c’est la mer, par bandes obstinées.- C’est la mer, mais c’est abstrait. Tu comprends? – Non, c’est à pied !  Nouveau rire qui fait saigner ses lèvres gercées. Elle s’appelle Micheline, elle a vingt ans. J’achève pour elle le petit travail qu’elle a délaissé. Elle veut l’offrir sans délai à Cyril qui peint tranquillement dans l’autre salle un navire et sa chaloupe, les nuages, un oiseau. La vingtaine aussi pour Cyril. Accompagne-moi, supplie-t-elle en se tordant les mains, en gloussant. Cyril très ému, très correct très appliqué prend le cadeau, tout un cérémonial au cours duquel les sourires sont presque atroces, gorgés d’une souffrance inconsciente, brutale, inouïe. Micheline s’agite, veut danser, encore et encore. Entre deux élans, elle me parle de l’autre nouvelle : « Je la connais, c’est la fille de M. ; elle ne parle pas, elle bave. ». Toute la journée, elle se colle contre moi, se greffe sur ma vie, le plus directement possible ; elle enfouit ses rires dans ma poitrine, me caresse, prend ma taille, coiffe fiévreusement mes cheveux. Je suis imprégnée, vidée aussi. Pour ce qui est de Jean-Jacques , un disciple de l’émission Salut les copains, le speaker untel, et la chanteuse Sylvie Vartan dansent une ronde infernale dans son cerveau ; nous cherchons à chaque fois comment lui éviter l’échauffement soudain du délire au cours duquel il se dresse, marchant de long en large en se balançant de toutes ses forces, suant à grosses gouttes et parlant de ses idoles. Jacquot, dix ans, visage difforme, sourire de vampire (ô les baisers qu’il vient chercher) joue avec le micro du magnétophone ; il sait qu’on l’enregistre et sort sans interruption d’incroyables chaînes de mots  -à commencer par tous nos prénoms qui ont suscité une sorte de déclic en lui –rires, petits cris, le tout très bien rythmé sur divers registres : vocabulaire soudain riche, fragmenté de souvenirs entrant en rythme, bourdonnements, parodie d’animateur-radio. Je suis fascinée, confondue –on croirait sentir la trépidation d’une intelligence sans brides  qui se donne à l’espace enregistreur.  Et Louis, atteint de trisomie a trouvé, grâce à « quelqu’un », une place de balayeur au jardin des Plantes. C’ est très sérieux et il se fait paternel pour me demander si mes vacances ont été réussies. Je lui promets une visite sur son lieu de travail dans le courant de la semaine. Il est si courageux, tellement attentif. François a un merveilleux visage, très pur. Il y a dans le front une courbure déjà étrange, comme si une maladie était tapie là juste derrière. Le regard si bleu dit le reste ; il est comme éteint, vague, dépoli. C’est par les yeux que le « normal » s’échappe, qu’il y a des fuites, le ruissellement de la folie. On joue au baby-foot ; il traîne les pieds dans toutes les salles, indique qu’il m’adopte en posant sur mon bras son pull-over. Gilbert. Entend-il ? S’il entend, c’est de façon si lente, si lointaine ; bon nombre d’écorces s’interposent entre lui et nous. Ses yeux à lui sont complètement éteints ; il faut lui répéter plusieurs fois la même question pour les voir bouger, comme une vase bleue, sans lueur –même pas un feu follet. Neutres, presque vides ; le soleil y est absorbé, non reflété. Il reste immobile, plongé dans une morne extase devant l’électrophone où il écoute des dizaines de fois, comme pour être rassuré, les chansons de Babar. Il reste assis, absorbé par la rotation du disque. Philippe vient  lui proposer d’apprendre une chanson mimée. Aucun résultat. Philippe s’éloigne, sans insister. Je m’agenouille près du fauteuil où Gilbert est englouti et doucement, en commençant par tenter de le rejoindre là où il est, en répétant les mêmes mots simples –ça tourne, tu es content, quand ça tourne, tu voudrais que ça ne s’arrête jamais – j’ai l’impression que je suis en train  de desserrer l’étau, d’entrer dans ce cristal de folie, de le saisir, de remonter après l’avoir détaché, et enfin de le ramener à la surface –oui, refaire surface, crever l’écran de l’absence. Tout est interminable, étouffant mais je ne lâche pas prise et enfin, merveille, SES YEUX SE POSENT SUR MOI. Il arrête lui-même l’électrophone, se lève, tire la porte coulissante, part à l’autre bout de la pièce en me REGARDANT. Je m’assieds en pleurant de joie, épuisée mais triomphante. Naissance.Jeudi 27 Septembre 1990. Dans l’attente de l’heureux événement s’est glissée une douleur, la forme d’une inquiétude sur fond de guerre du Golfe. On l’avait pourtant dit : il faut faire attention maintenant. Nager aussi loin avec une nouvelle vie dans le ventre, vous n’êtes plus une jeune fille. J’avais remarqué. Mais la chaleur était si lourde. Examen de routine, on ne vous laisse pas repartir : le col s’ouvre, c’est trop tôt. Sous perfusion une semaine. Cap franchi. L’enfant  naîtra début novembre. Si beau. Lui en regard.Jeudi 27 Septembre 2001. Onde de choc du 11, le contre coup. Des cours donnés le matin. Une question retournée dans tous les sens, une sorte de cube dont toutes les parois renvoient la même image, celle d’un monde qui se fissure au-delà de tout ce qu’il était possible d’imaginer. Comment apprendre à habiter l’impensable, qui crève les écrans et désormais prolifère quand on n’en croit pas ses yeux? Jeudi 27 Septembre 2018. Avant-veille de l’inhumation. Cœur pris dans l’étau de la disparition sans possibilité de se retrouver, se poser, comprendre comment tout est allé si vite, dans la nuit du 24 au 25. Pas de répit. Paris, la course. Qui fait quoi. Démarches, papiers obligatoires, formalités, organisation des jours suivants : un premier hommage  rendu le lendemain matin dans le jardin des artistes puis levée du corps qui sera transporté par  la route et nous par TGV. L’expression  « levée du corps », sidération. Levée. Corps. Ce que porte la langue. Corps. Corps étranger. Soulevé. Porté. Transporté. Et nous en parallèle, corps voyageurs : arrivée Morlaix 20h40. L’amie fidèle sera là comme toujours : encore un peu de route vers le dernier endroit. Tard le  soir du 27 Septembre, on se prépare, on est dans l’attente sans savoir ce qu’on attend. On n’a rien pris de la journée alors chorba en sachet, sushi, yaourts à la rhubarbe achetés à l’arrache et c’est bouée de sauvetage dans l’atelier  pour les corps hébétés, sonnés, brisés, vivants que nous sommes. On se regarde. On regarde la nuit. On regarde l’atelier. On regarde la pierre à encre sur la table de travail. On regarde.





Hypothèses au carré

1. Quelqu’un cherche. Quelqu’un cherche après. Après Titine. Pas seulement.  Après.  Une sorte d’avis placardé sur troncs et palissades, comme hier en forêt la  photo sous plastique – au moins vingt exemplaires photo d’un lévrier perdu, enfui, disparu sous  couvert des bois. Quelqu’un mais qui. Qui cherche quelqu’un d’autre. Qui revient au même. Une recherche dérisoire, à cause du diminutif Continuer la lectureHypothèses au carré

Maison du premier domaine


Sans doute une fenêtre à l’étage donnant sur les ombres du domaine avec, juste devant, le vieux terrain de jeux désaffecté qui sert d’enclos au chien-loup, gardien de la lune montante. De là se devine la maison entre les branches qui bougent à peine. Cernée par un labyrinthe de buis pour créer les fugues, à l’approche du médecin. Les buis forment des dessous froids pour les rituels d’enfouissement. Aspérités des pierres meulières: les fils brillants indispensables y sont accrochés.. Tourelle sur un côté, vieil escalier tournant pour embarquer les bruits du dedans quand les marches craquent sous le poids d’une présence qui gravit en boitant les marches jusqu’aux chambres des enfants sans jamais ouvrir la porte. En bas, une cheminée ne laisse à l’intérieur aucune trace de flambée. L’éclat des flammes est prisonnier du cuivre bien astiqué qui dessine les contours des réceptions familiales. Sur le mur de la salle à manger, des trophées : têtes de brochets desséchées, gueules ouvertes laissant entrevoir les secrets du lac.  Dans le sillage de la maison,  une autre maison, celle qu’on n’a pas le droit d’aborder car la grave maladie est venue de là. En face, un marronnier immense au bord de la prairie. Sert à inventer  des troupeaux de marrons bais ou mouchetés qu’on cache entre les racines  avant de rentrer à la maison. Un perron revient à l’appel du mot rentrer : une grand-mère inquiète y est debout, lançant à la volée le prénom de l’enfant qui s’est enfuie malgré fièvre et interdiction. Volée de marches. Hors de la maison.

racines vie modifications

Suis née dans la chambre d’une ferme. N’ai pas bien su ce qui m’arrivait,  l’aîné devait être un garçon et ce n’était que moi : ai engendré dans un premier temps la déception des parents. Ai poussé sans être fripée ni froissée, ce qui les a réconciliés avec ma venue au monde. N’ai pas entendu le médecin généraliste dire qu’il Continuer la lectureracines vie modifications

Ouverte ou fermée

Ouverte ou fermée, elle donne sur la nuit qui mange la demi-lune encore attachée au souvenir. Mince paroi qui n’en n’est pas une, découpant à l’intérieur des morceaux de transparence tenus par les montants du corps traversé.  Navette  entre dedans et dehors quand l’un devient l’autre dès que le vent tambourinaire donne le signal. Elle est le cadre du vertige, Continuer la lectureOuverte ou fermée

Maison d’à côté

La maison d’à côté           reste                                                                                                                                        la maison de Tine           tu cherches après           elle               tu cherches             après Titine                  au visage radieux         qui balayait  soleil devant                sa porte                  en oubliant                        l’heure                      qu’elle  redemandait encore une fois                           avant de rentrer                         préparer le repas                  surtout le far                 cuisant à même  la plaque du four                                          et les sœurs                    mangeaient les coins                     le meilleur pour la Continuer la lectureMaison d’à côté

CROCHET TOIT



Il retient une ardoise au bord du toit, près de la gouttière. Un parmi d’autres, celui qu’on ne verrait pas sans un point de rouille à l’attache. Pointillé vertical qui dépasse en bas,  au milieu de l’ardoise, parmi d’autres pointillés bien rangés sur la longueur. Partie émergée de l’idée, de l’invention ingénieuse et nécessaire : en forme de petit saxophone dont le son serait la force de porter un petit morceau de temps rectangulaire.  Contributeur dans la couverture, signe de ponctuation incognito, entre ciel et terre, au-dessus des corps réfugiés à l’intérieur, ou des passants au-dehors, petit lien métallique entre volige et extérieur, squelette et ailleurs. Une pointe de solidité dans le grand désordre. Le  martellement dont il a fait l’objet quand le couvreur musicien du toit l’a fixé à l’endroit voulu, a laissé des traces invisibles : écho d’un galop régulier dans la lumière déclinante, ou petits pas des gouttes de pluie sur le toit. Répercussions.  S’il pouvait parler, il dirait la résistance au milieu de la tempête, la patience équitablement répartie entre tous les crochets, minuscule peuple des hauteurs scellant un pacte de protection. Il ne parlerait pas de ce qu’il voit, là où il est : rue qui descend vers les ombrages et lointain, habitant la douceur du gris-bleu dans le nid montagneux des ardoisières.  C’est de là que  vient la plaque grisée qu’il porte au-dessus de la mêlée, celle qu’il  maintient en pleine immobilité, poignée serrant fort le rectangle d’un carton à dessin qui est lui-même dessin parmi les dessins bien accrochés  formant en silence le toit.  

La poêle-et-boîte d’aquarelle

1 . Quelque chose qui s’échappe. Objet peine à être nommé. Peine. Tourner autour du pot.   Vient à l’esprit : la poêle, vieille. Celle qui a connu tous les mélanges. Rétamée. Cabossée. A force d’avoir servi. Bords un peu hauts. Faire revenir ce qui est à l’intérieur, un peu d’eau, couvrir. A l’étouffée. Ce qui se passe dedans : Les couleurs ont Continuer la lectureLa poêle-et-boîte d’aquarelle