Le chemin avait serpenté en montée, et le caddie tiré en ahanant avait pesé lourd, comme ces baskets sont serrées, pourquoi s’enrober de matière synthétique quand on rêve de doigts de pied étalées en pleines sandales, minimiser la surface du corps qui toucherait un truc solide, rêve de short, non de grande robe d’été comme une chemise de nuit blanche de téléfilm anglais. Arriver dans cet état de sueur où la dignité est un peu remise en question, vague souvenir de réprimande maternelle, arriver devant le mur avant de bifurquer vers le parking à droite, avant ce terrain plat où l’on sait que l’effort est terminé. Pourquoi ne pas avoir installé de banc au milieu de la montée, indifférence des ergonomes urbains, sadisme peut-être, pourtant même quand on n’est pas vieux ça n’est pas facile, ça monte sec comme on dit. Et la présence du mur, massif, en point de perspective, s’agrandissant, absurde, au fur et à mesure de l’ascension, n’aide pas, non non, ça n’aide pas, c’est comme marcher vers une prison, marcher vers, il n’y avait pas un paradoxe grec, un paradoxe ou un comment ça s’appelle déjà… et lui c’est qui, Parménide, non Zénon, – mais pourquoi les noms s’échappent-il toujours en premier – le mur, s’avancer de la moitié de la distance à chaque fois, et constater qu’on n’atteindra jamais le mur, jamais, jamais, comme dans le truc de la flèche, immobile dans son référentiel d’espace à chaque instant, la flèche ne bouge donc pas, et comme dans Achille et la tortue, Achille et la tortue, Achille ne rattrape jamais la tortue qui est partie avant lui. À propos de tortue et de course, il y a un corps qui doit redoubler d’effort, là, parce que le caddie lui semble vouloir l’emmener absolument vers le bas, i.e. dévaler ce qui a été péniblement acquis, avec la perspective, sans doute, de perdre encore plus sa dignité. Refocaliser son attention, donc, vers le mur devant soi, objectif autant risible qu’éminemment concret, au mur, l’effort est fini, au mur l’effort est fini, maison pas tout près, mais terrain plat, terrain plat. Le printemps, cette saison épouvantable où le soleil gentiment voilé peut soudain se mettre à poil, comme ça pour blaguer, alors qu’on n’a pas encore ressorti les gourdes, les shorts et les chapeaux de paille, alors qu’on veut garder sa dignité dans l’espace public. Au lieu de ça, un mur qui grandit, une fatigue seulement compensée par la peur du suspens, que ferait-on à l’arrêt, à part peut-être dire des grossièretés ou pire, pleurer ? Avancer donc, vers le mur, les aisselles comme des flaques à l’envers, tenter d’arrêter de penser, un temps qu’on voudrait enlever du temps de vie, l’abstraire puis l’annihiler, sélectionner, couper, mettre à la corbeille, pourquoi tout n’est-il pas aussi simple, sain — et aussi peu impliquant — que des clics de souris devant un écran ?
Ce mur, but et repoussoir… intrigant, attirant. Je me demande si cela ne vaudrait pas la peine d’écrire la ponctuation dans le début du texte, pour accentuer encore le côté parlé qui s’accorde bien avec le contenu.
Merci beaucoup de ton retour, je vais laisser passer deux ou trois jours avant de relire ce début de début, pour l’instant je marche à tâtons 🙂
Peut pas m’empêcher de penser à Marlen Haushofer… Mur angoissant !
Oh je ne connais pas ! M’en vais explorer, merci Catherine !