A la laverie de Bellevue, après vingt ans d’absence. Il est là, sur le banc d’en face. La fille avec lui je ne la connais pas. Elle le tient par le bras, pose son front contre son épaule, on dirait qu’elle a bu ou qu’elle est heureuse à en perdre l’équilibre. En vingt ans il n’a pas changé. Le même, avec son caban, son bonnet de marin, la mèche qui s’en échappe et qu’il lisse du bout des doigts. Le même caban, le même bonnet, la même mèche blonde. A la laverie de Bellevue, après vingt ans d’absence, la radio passe les mêmes airs et dans les tambours tournent les mêmes vêtements. Je l’aime. Vingt ans n’y ont rien fait. Je l’aime encore, aujourd’hui comme alors. Une femme passe devant moi, les bras chargés de draps humides. La machine 10kg termine son essorage. La fille qui l’accompagne se met à rire. Elle ne sait faire que ça, rire et se pendre à son cou. Elle sort son téléphone et se presse contre lui. Il rectifie sa mèche. Voilà le selfie. Trois sèche-linges s’arrêtent en même temps. Un Pakistanais en sort des nappes. La fille roule deux cigarettes. Il remonte le col de son caban. Où iront-ils après la laverie de Bellevue, dans quelle longue absence retournera-t-il m’échapper? Soudain il se lève. Je ne le voyais plus si grand. Il sort du sèche-linge une masse de blanc qu’il fourre dans un baluchon. Les voilà qui s’en vont, enlacés. Il rajuste son bonnet, lisse sa mèche. La fille allume deux cigarettes en même temps, en garde une aux lèvres et coince l’autre entre les siennes. Ce profil que j’aime dans la lueur du briquet tempête. Elle me dévisage derrière les lettres inversées du LAVOMATIC de la vitrine. Ce regard qu’elle me lance me révèle et me dénonce, moi qui croyais vivre d’ombre.
après ces vingt ans d’absence est-il mieux connu ?