#anthologie #01 | Au Collège

Anthologie #01 : Au Collège

Claquer la portière sur le parking, marquant ainsi la fin de la vie privée, le même claquement le soir marquant le retour de cette vie, marcher en attendant, évitant certains jours les flaques et les crottes, chargée du sac-à-main du sac de pique-nique du sac en cuir, chercher le trousseau de clés vie publique, la clé du portail, ouvrir ce portail, y lire les nouveaux tags permettant évaluer l’atmosphère du moment, ou constater qu’ils sont recouverts, ou passés au karcher, deux marches d’escalier, tirer la porte en verre, rentrer dans la salle des profs vérifier un casier vidé par l’augmentation du numérique, voir qui est là, saluer, déception si personne, ayant besoin des nouvelles, de connaître les évènements pour mieux y faire face, sortir par la porte en contreplaqué, monter à l’étage par l’escalier en colimaçon, vingt-cinq ans après toujours inaccessible aux handicapés en fauteuil, les handicapés ne faisant donc pas de musique, depuis toujours et peut-être pour toujours les handicapés ne faisant pas de musique ni d’art plastique, dans ce collège, deuxième clé, deux tours de serrure, passer entre les rangées de chaises et le coin prof, bureau clavier table avec deux ordis, un rectangle bien délimité avec dans le dos tableau blanc et tableau à portées, l’espace de show de gestion de batailles de stress d’émotions de suées, poser les sacs, troisième clé pour le cagibi où mettre le sac nourriture, quatrième clé pour l’armoire blindée, allumer les appareils reliés, allumer un ordi, allumer le clavier, premier code pour l’ordi, deuxième code pour le logiciel d’appel, vérifier qu’un autre logiciel pour ne pas dire un humain très pénible, je reste polie c’est une règle de base, un humain très pénible maniant sa souris comme un sceptre, n’a pas changé l’emploi du temps sans prévenir, troisième code pour les mails, surgissement d’une liste contenant à coup sûr de la douleur, souffrant déjà du message de ce parent bien connu, du mot « réunion » ou de l’injonction de  « répondre par retour », sept heure trente, déballer le sac en cuir sur le bureau, les cours les photocopies à faire en bas avant le rush de sept heures quarante cinq, allumant le vidéoprojecteur traversant la salle ouvrant les fenêtres car tout-à-l’heure rideaux occultants, autrefois s’asseyant au clavier plaquant trois accords soutenant quelques vocalises, aujourd’hui l’échauffement vocal relégué à cause des logiciels des mails de l’immédiateté et de l’urgence, toujours cette urgence, dévaler l’escalier, photocopier, classer dans un sens et dans l’autre en petits paquets superposés, pousser la porte en verre, traverser la cour en accélérant, frapper à la loge, récupérer les photocopies de la veille, demander des nouvelles des évènements consternants nous agressant déprimants décourageants afin de les combattre ou de s’affoler, en tous cas savoir, surtout savoir, car les mails à sept heures quinze ont fait silence sur l’essentiel, l’essentiel nous liant nous attachant les uns aux autres pour ce jour, et depuis toujours, et pour longtemps, semble-t-il.

Puis la matinée se déroulant, le premier rang dans la cour, vingt sept adolescents et deux AESH, (chance !), grimper les marches en sautant les deux dernières, se donnant ainsi l’illusion d’une forme persistante, alors que tout le poids derrière, de cette troupe à tirer à ranger, appeler, nommer, diriger, dynamiser, faire écouter faire chanter faire taire faire parler faire écrire faire rêver faire penser, surtout faire penser, créer de la pensée nom de Dieu, puis la deuxième heure se déroulant, même protocole, même énergie show sueur voix chantant parlant interpellant motivant répétant reprenant, regard surveillant sur les tables sous les tables les retournements les débordements les chuchotements les adhésions les agitations les oppositions, manipulant les cours numériques les images les sons et les feutres weleda, jouant du clavier tournant les pages de partitions, goûtant la paresse d’appuyer sur le bouton « moins 1 demi ton », au lieu de se concentrer comme avant sur la pénibilité de la transposition, à cause des voix muant, des voix exténuées d’être adolescent, des corps s’affaissant, baissant d’un ton, tant qu’à faire, touches, pédale, volume, rythme, puis dévalant l’escalier en colimaçon, brouhaha des gens, machine à café, repérant les infos et les triant, riant écoutant interpellant racontant, certains profs encore en plein show, sans cesse le show, la mise en scène, la voix portant exaltant traversant les groupes traversant la salle puis la sonnerie, troisième rang dans la cour, pas d’AESH, grimpant l’escalier en colimaçon, soufflant, la troupe derrière, se disant courage encore quatre heures, Tiens-toi droite ! Attention ! Éveil ! Transmission ! Passion  sinon rien ! Les gosses passant, les générations passant, la joie le rock la pulsion la pulsation, vivant encore là, évoluant, semble-t-il.

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

Laisser un commentaire