Léger vent dans le dos. Un anglophone me demande d’où vient le mistral, et si cela en est. Je lui réponds non, trop faible, ce n’est pas encore du mistral, même pas du mistralet, il le sentira, il s’envolera, quand ce sera le mistral, à décorner les bœufs, à déboussoler les corneilles, à arracher les cerfs-volants, il n’aura pas besoin de demander, il devinera bien, ce sera si évident. Le canal d’Arles à Bouc est surtout connu grâce à Van Gogh, un pont levis identique à celui qu’il a peint jadis a été épargné par la modernité du béton et par la guerre, puis a été déplacé en aval du lieu peint. Sur son tableau, le ciel sera jaune, les culées du pont lilas, le chemin de halage rose, le canal émeraude et l’herbe du premier plan et de la rive opposée verte. Au bord de ce canal, la décennie suivante, l’apôtre stéphanois de la polymultipliée passa avec un vélo à 4 vitesses sur la digue, ignorant probablement tout de la toile. Dans son récit, il suit rigoureusement, sous peine d’immersion, un sentier qui bien souvent se réduit à des ornières, il rebondit de motte d’herbe en motte d’herbe, croise les ponceaux mobiles, traverse une fois à la recherche d’un sentier meilleur sur la rive gauche, trouve pire, renonce, se satisfait de son choix à la vue de manades sur l’autre rive, troupeaux de taureaux sauvages et de chevaux. D’abord sur son grand développement, il s’arrête pour passer à 4m,40 grâce à un maillon agrafe, ce qui convient mieux aux cahots et aux trépidations. Aujourd’hui jusqu’au Mas Thibert c’est maintenant une piste cyclable bitumée, toujours en ligne droite, très roulante. De part et d’autre selon la sécheresse ou l’inondation du sol : roselières, sansouires, salicornes, tamaris, soude, obiones, scirpes, jonc, phragmite, lotus, trèfles, lotus, vesces, chiendent, fétuques, agrostis, et des rizières, de plus en plus de rizières, quelques arbres au loin. Au milieu des champs de temps en temps des traces de tracteurs inondées reflètent en bleu aigue-marine le bleu du ciel. Parfois un héron butor étoilé s’envole, un ragondin apparaît nonchalamment à la surface verte du canal avant de s’y engloutir. Les rizières en eaux accueillent des oiseaux limicoles, petits échassiers, je reconnais les aigrettes, les sternes. La culture du riz a été importée, relancée au début des années 1940, en même temps que la réquisition de 20 000 travailleurs forcés, 500 dans les rizières. Les tracteurs viennent après-guerre remplacer leurs exploitation et savoirs-faire. Les traitements chimiques sont aujourd’hui épandus la nuit. Le soleil de plomb me tape l’échine, écrase le paysage horizontal, la soif m’assèche le gosier peu à peu, mon corps est sans doute à température ambiante, la chaleur produite par le mouvements des jambes peine à s’évacuer, gare à la surchauffe, gare au coup de chaud, gare à l’insolation, il n’y a pas d’ombre, il n’y a pas un chat, que la splendeur de l’été débutant. La sueur moite, la sueur colle, la peau a elle aussi ses affleurements salés comme le sol. Je m’ennuie sur cette ligne droite, que faire, je saisis mentalement un roseau, je le coupe, je le biseaute, j’ai maintenant un calame, j’écris la sueur de mon front, la grâce du point de fraîcheur là où l’air déplacé caresse l’épiderme juste au dessus des sourcils.
Et bien ça y est, je suis dans la roue et suis le vélo. Je suis sensible à nouveau à cette voix très incarnée, ce vocabulaire riche, précis, cette litanie de plante qui fait le présent dense et sensoriel mais aussi : peint. Et puis l’histoire du lieu, une nouvelle dimension, un effet de profondeur. Les sensations du corps enfin. Ce balancement du micro, au macro, ces allers retours : au rythme des pédales? Très agréable à lire.
Merci ! Je n’ai approché la consigne que de loin, pas prêt à être aussi délié à ce moment là, j’ai trouvé les accumulations intéressantes sur un trajet pour cet effet de focus/digressions.