Son doigt glisse sur l’écran, assis sur un tabouret de bar, l’air grognons, engoncé dans un anorak vert, barbe grise. Je me demande ce que je fais ici. Il boit par petites gorgées un verre d’eau. Son café a refroidit. Que regarde t’il ? Instagram ? Facebook ? Une liste de faux amis. De l’actualité à la chaine. Il ne bouge pas comme hypnotisé, cerveau vide, absent du monde qui l’entoure. Sa femme n’existe plus. D’ailleurs elle l’a quitté il y a quelques semaines. Il garde son alliance par habitude. Les clients de ce bar-PMU parient sur la prochaine course. Lui reste stoïque sur son tabouret. Je rêve de gagner un millions pour quitter ce quartier pourri, aller à l’autre bout du monde, voir d’autres visages, d’autres paysages. C’est fascinant de scruter cette immobilité pesante où le corps se fige. Ni voyage intérieur, ni méditation, juste ce mouvement continu du pouce. Je risque d’attendre des heures avant qu’il ne se décide à revenir dans le présent, à prendre conscience de ses semblables. Son corps se dissout. Il devient transparent au monde. Cela doit être agréable de ne pas penser à rien de précis, de laisser ainsi flotter son esprit dans une servitude volontaire. Ce n’est pas le bonheur mais une anesthésie. Moi aussi, il m’arrive de me perdre dans les méandres du web passant d’une actualité à une autre, d’un réseau à un autre, de partir à la dérive, sans attaches, glissant au gré d’hyperliens dans un brouillon de pensées.