#ateliers#écopoétique #5#  | Joy Sorman  | le perchoir

Face à mon perchoir, une rambarde de fenêtre qui s’ouvre sur la rue, un bout de trottoir là où précisément il y avait un garage, « le  garage » avec ce que cela suppose de familiarité et de négligence pas dommage (qui ne craint rien) à mes yeux d’enfant.

Il s’étendait, une horizontalité sur quelques dizaines de mètres. Courants d’air et pigeons le traversaient comme des voix se superposant sans urgence, croisant des fragments de conversations attrapées au vol et que l’épaisseur de la graisse absorbait. Des hommes en casquettes cigarettes au coin des lèvres un rituel pour une économie de gestes, un besoin une nécessité. Les moteurs toussaient les portes métalliques s’entrechoquaient dans un air que l’odeur d’essence et de poussière saturaient ; un vacarme ordinaire celui d’une mélodie de quartier, l’éternité.

Aujourd’hui ce lieu n’est plus qu’un cadavre de béton voué à la démolition, seuls les pigeons continuent de traverser le hall déserté, les murs tachés de suie, les bennes débordant de morceaux de machines, de pièces métalliques, de ces objets autrefois des outils, des parties de vie. Des lambeaux de calendriers accrochés à des clous rouillés laissent deviner l’obstination du quotidien et du temps qui refuse de s’arrêter.

Puis le garage a fermé, un évènement marquant ou une transition à peine perçue, un glissement dans la banalité du passager. En suspens… je m’y suis souvent arrêtée par habitude, besoin de jeter un coup d’œil dans l’entrebâillement de la porte pour vérifier l’installation du vide, vide bientôt comblé par la modernité. Des bureaux murmure-t-on surgiront avec des façades et baies vitrées aveugles. Un standard pour travailleurs silencieux derrière des écrans, l’odeur de l’essence cédera sa place à celle du café en capsule pour employés pressés. Des sols balayés de tout souvenir ils n’en sauront rien.

Pour moi, une absence ; reste mon petit bout de trottoir et juste en face un perchoir.

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