Et un et deux et trois, voiiilà ! Placez-vous ! Allé – allé. Troiiis-quatre ! Et hop, attention les pieds en dehors et le regard sur les mains, vers le haut, Adèle ! Fais attention, je te l’ai déjà dit. Un. Deux ! Un. Deux ! Allez-y, on y va !
Glii-ssade, je-té. Glii-ssade, je-té ! Balloté, balloté, balloté-tendu-tendu. Je-té, je-té, glii-ssade, glii-ssade-pas-de-bourré. Voilà…
Le corps, les bras, faites marcher les bras et le corps, n’oubliez pas, comme vous l’avez appris. On reprend. Allé, un et deux. Et hop et hop, voooiiilà, très bien ! Glii-ssade, glii-ssade, oui, comme ça, oui continue Ada, très bien. Voilà, merci. Ce pas-là est une belle entrée en matière pour le spectacle, n’oubliez pas de re-gar-der le public et de sourire ! C’est très important !
Maintenant, petit pas de batterie : échappé, et-battu, et-battu, devant-derrière-derrière-devant, devant-derrière-derrière-devant, entrechats quatre, entrechats trois, entrechats quatre. Brii-sé, brii-sé-pas-de-bourré.
Dessus-dessous-dessous-dessus, brisé-volé, brisé-volé. Glii-ssade, glii-ssade.
Cabriole. Cabriole, brisé-jeté, brisé-jeté-pas-de-bourré.
Un seul bras sur la glissade et sur la cabriole puis pas-de-bourré pour repartir de l’autre côté. On y va ?
Avec la musique s’il vous plaît. Et un, et deux, et hop ! Et-jeté, et-jeté, arabesque. Et un, et deux, et hop et jeté, et jeté, arabesque. Oui, c’est bien continuez. Les bras première, on gaaaarde les bras première dans les échappées, là. Première, j’ai dit ! Et n’oubliez pas le regard, toujours le regard au-dessus de la main, la tête haute, s’il vous plaît!
La répétition se poursuit. Les muscles se tendent, les bras s’ouvrent, les têtes s’inclinent, les pieds s’emmêlent. Tout va très vite, les entrechats donnent l’illusion de mélanger les jambes. On continue.
Tout à l’air évident et simple. Ils sourient, les gestes sont précis, en place, en rythme.
Et elle, elle est concentrée. Elle sait qu’elle doit retenir l’intégralité des pas et qu’ils doivent être exécutés dans le bon ordre. Elle sait qu’elle doit penser à effectuer chaque geste avec grâce, être en-dehors, la tête relevée, le nez en l’air. Chaque mouvement est ainsi millimétré et doit s’effectuer sans aucune fausse note au risque de tomber ou de faire tomber le danseur ou la danseuse à ses côtés. Tout va très vite, la musique, les glissades, les jetés, les brisés-volé, les arabesques. Il ne faut rien oublier. D’ailleurs, après glii-ssade, glii-ssade, c’est pas-de-bourré ou c’est jeté ? Elle essaie de se remémorer les mots du chorégraphe. Ils sont nombreux sur la scène, elle les connaît bien heureusement. Elle sait qu’ensemble, ils répètent vite, elle sait aussi qu’il ne faut pas être dans le chemin des autres, il faut avancer, savoir où aller, il ne pas se tromper, il ne faut pas regarder les chaises vides du public encore absent. Il faut s’envoler tout en restant sur terre.
Il faut avoir l’air léger, donner l’impression que tout est simple et facile. Ne pas penser aux orteils meurtris dans les pointes, orteils en sang dont la peau frotte encore dans le chausson, mince, elle a oublié les compresses, elle les mettra après. Vite, retenir, vite aller, vite danser.
Elle est présente dans son corps, dans sa tête, dans son esprit.
Le pied droit part vers la droite entraînant la jambe droite qui, de pliée, devient tendue. Dans ce mouvement, suit alors le pied gauche en glissant, entraînant la jambe gauche qui, de tendue, devient pliée. Les bras suivent le mouvement, le bras droit est plié en arc-de-cercle, le bras gauche est tendu vers la gauche avant de venir rejoindre le bras droit. La tête regarde vers la droite, les yeux à l’horizontale. Glii-ssade, glii-ssade. Je-té, je-té, vers la droite ! Se lance alors la jambe droite tendue qui se réceptionne en se pliant, entrainant à sa suite la jambe gauche qui se plie également, laissant le pied gauche en suspension, près du genou droit. Le bras droit est plié en arc-de-cercle, le gauche est tendu. Balloté, saut sur place, la jambe droite se tend vers l’avant et pendant que le corps est en suspension dans l’air, la jambe gauche réceptionne le corps en pliant légèrement avant de ressauter et de se tendre vers l’arrière. Balloté, balloté, balancement. Le corps reste droit. Les bras suivent les jambes dans une chorégraphie toute étudiée, et lorsque la jambe droite se tend vers l’avant, le bras droit reste tendu alors que le bras gauche vient s’arrondir devant. Lorsque la jambe gauche se tend vers l’arrière, c’est au bras droit de s’arrondir vers l’avant, laissant le bras gauche se tendre vers la gauche. La main redescend doucement et s’arrête comme suspendue. La tête s’incline et regarde la main.
À un moment, la musique soupire, juste le temps d’une respiration. C’est à cet instant précis que la danseuse se surprend à ne plus suivre le mouvement dicté par le chorégraphe. Elle pique la jambe gauche vers l’avant et monte sur sa pointe. Le poids du corps repose sur ce minuscule morceau de bois au bout de son pied, un petit morceau de deux centimètres carré. L’équilibre produit par la figure demande une concentration maximale, le pied parfaitement en dehors supportant toute la charge du corps, la jambe tendue, le buste légèrement en avant, contrebalancé par la jambe droite un peu pliée derrière, en arabesque. Le bras gauche est tendu devant, le bras droit est tendu sur le côté. Dans un mouvement d’étirement, la jambe droite s’élève un peu derrière et redescend vers le sol. Les deux pieds restent sur les pointes et commencent à tressauter, à avancer sur le côté. Elle prend une accélération, elle continue à tressauter vers la gauche, le chorégraphe reste interdit, elle l’entend dire quelques mots mais ne les reconnaît plus. Les autres danseurs s’écartent, elle les voit gesticuler vers elle et lui dire des choses qu’elle entend très lointainement. Que se passe-t-il ? Tout est ralenti sauf ses mouvements. Elle ne suit plus la musique, elle suit son corps et se lance dans de grands-jetés qu’elle égrène en arc-de-cercle tout autour de la scène. Dans les grands-sauts, elle tend les jambes presqu’à l’horizontale donnant l’impression de lancer des grands-écarts dans les airs. Les bras suivent la tête, elle continue, puis arrivent les déboulés, un, deux, trois, quatre déboulés, le regard fixant un point dans la salle permettant à la tête de ne se tourner qu’au tout dernier moment. Ses bras l’entraînent, elle garde la trajectoire, elle toupie, elle tourne, elle tourne. Et elle repart dans les grands-jetés sous les applaudissements d’une foule émerveillée qui l’ovationne. Elle entend ce public fantôme crier son nom, debout, elle est acclamée, elle est heureuse, elle touche enfin à ce pour quoi elle danse, elle se désincarne, elle voltige. Elle tourne, elle tourne, elle tourne. Elle tombe.
Elle a cru que. Elle a voulu que. Elle a dansé pour. Elle a oublié de rester réelle sur scène et dans le travail. Elle s’est envolée.
et on l’entoure avec des mimes réprobatrices… comprennent pas ce que c’est que la danse (sourire)
belle description de ce qui doit être et bel élan pour le reste
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de le lire !
Dans les grands-sauts, jambes presqu’à l’horizontale, lancer des grands-écarts dans les airs. Les bras suivent la tête, arrivent les déboulés, un, deux, trois, quatre déboulés, le regard sur un point dans la salle la tête au tout dernier moment. Ses bras, elle garde la trajectoire, toupie, tourne, tourne.
Bonjour Stéphanie, on ne se connait pas. J’ai aimé la matière de votre texte sa précision. J’ai osé sur ce passage un resserrement. Juste pour tester. Bien à vous
Vous faites bien de tester, car si matière à jeux/à changer il y a, essayez, resserrez, continuez!!! c’est là tout le bonheur des mots…